Mélodie en sous-sol
Polémique autour de l'extension souterraine du musée des Beaux-arts de Budapest
Le projet d'extension souterraine du musée des Beaux-arts (Szépművészeti Múzeum), situé sur la place des Héros, remonte à 2005, date à laquelle l'idée d'élargir la capacité spatiale de l'établissement est née. 5 ans plus tard, et malgré la levée de fonds européens, le projet semble paralysé par de vives polémiques qui ressemblent à s'y méprendre à un combat entre Anciens et Modernes.
Le projet d'extension du musée des Beaux-Arts, dont le coût est estimé à 3,8 milliards de HUF, bénéficie d'importantes subventions européennes.
Devenu "projet prioritaire" en 2007, les décideurs, pris par le temps, ont choisi de ne pas organiser de concours général d'architecture mais de lancer, en 2008, une compétition sur invitation. A l'issue de cette compétition, c'est le projet du célèbre architecte hongrois Tamás Karácsony (récompensé du Prix Miklós Ybl en 1993) qui a été retenu, son approche ayant été jugée comme la plus appropriée et en harmonie avec le style du musée et son environnement immédiat. Ce projet consiste essentiellement en l'aménagement des sous-sols du musée et en la création d'un cube en verre et en métal, situé juste devant l'entrée principale du musée, amené à servir d'accès – référence à peine voilée à la pyramide du Louvre à Paris – au nouveau complexe de 6.000 m2 du musée le plus populaire du pays.
(Suite 2) La place des Héros, site classé au patrimoine mondial de l'Unesco, sur laquelle se trouve le musée des Beaux-Arts, est l'un des symboles les plus forts de la capitale hongroise. Pour le directeur du musée des Beaux-arts, László Baán, le projet de modernisation fait preuve d'une «élégance retenue».
Outre quelques critiques concernant notamment la défiguration de la façade historique de la part du conseil des projets architecturaux de la capitale, il avait semblé, pendant de longs mois, que l'élite intellectuelle et les experts en architecture allaient accepter le projet sans faire de vagues. Pourtant, au printemps 2010, le projet a fait l'objet d'une avalanche de critiques, à commencer par celles de l'éditorialiste Mihály Ráday, dans un article paru fin février dans Népszabdság.
Les experts de la protection des monuments historiques se sont alors prononcés unanimement contre ce projet d'extension qui, selon eux, dénaturerait totalement la façade principale du musée, notamment la rangée d'escalier menant vers le portique. Ils ont en outre souligné que ces nouveaux éléments seraient en totale dissonance avec la composition symétrique de la place des Héros. Par ailleurs, une grande partie des architectes hongrois ont défendu haut et fort le projet de leur collègue Tamás Karácsony et de nombreux historiens d'art, académiciens et architectes ont exprimé leurs opinions à ce sujet.
Récemment, lors d’une table ronde organisée par le KÉK (Centre Contemporain d’Architecture), à ce sujet, l’historien de l’art Miklós Székely s'est prononcé contre l’extension du musée dont la fonction primordiale, selon lui, doit être la collection et la conservation des œuvres d’art. Rappelant la conception traditionnelle du musée, le „sanctuaires des muses”, il a ainsi souligné que les services de restauration et autres fonctions proposées par l'architecte, en particulier "l’espace enfant" n'avaient rien à faire au sein du musée, y compris dans le cadre de cet espace souterrain distinct. Le muséologue István Barkóczi, également présent lors de cette soirée, s'est rangé à l'opinion de son collègue Miklós Székely, ajoutant en outre que la capacité et les espaces du musée devraient être repensés et réorganisés sans pour autant agrandir le musée. «Il faudrait exploiter de façon beaucoup plus efficace les trésors que le musée nous offre dans son état actuel».
Face à cette vision du musée comme espace de conservation et de recherches, soutenue par une grande partie des conservateurs, muséologues et protecteurs des monuments historiques, le directeur du musée des Beaux-Arts, László Baán, et l'architecte Tamás Karácsony privilégient quant à eux les exigences des visiteurs et une conception fonctionnelle de l'établissement. C'est pourquoi ils veulent considérablement agrandir la capacité des espaces d'exposition souterrains, en particulier pour y accueillir les expositions modernes et contemporaines pour lesquelles le bâtiment, construit en 1906, n'est plus adapté. Ils souhaitent également créer des espaces de service suivant l’exemple des grands musées du monde entier. Ils envisagent ainsi le musée comme un établissement fonctionnel ayant pour mission de présenter au public des œuvres d'art mais ayant aussi la capacité de changer, de se moderniser et de suivre l'évolution et les changements imposés par l'époque.
Tamás Karácsony a donc été invité à reconsidérer son projet afin de satisfaire aux exigences des protecteurs des monuments historiques et conservateurs, essentiellement en ce qui concerne la question de l’entrée principale. Les travaux, qui auraient dû commencer au printemps 2009 et s'achever en 2010, vont ainsi subir un important retard. Reste à savoir comment réagira l'Union européenne qui subventionne l'essentiel du projet.
Balint Seres
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