Médias

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La chronique de Dénes Baracs

Échos de la francophonie

Loin de moi l’idée de prendre position dans la discussion suscitée par l’intention de Paris d’assurer un „pilotage unique” pour l’audiovisuel extérieur français, ou plus prosaïquement un rapprochement entre la chaîne généraliste, mais surtout culturelle, TV5 Monde, la chaîne de télévision d’information en continu France 24 et Radio France Internationale.

Les partenaires francophones de la France s’inquiètent, ils ont peur que par cette mesure TV5 Monde perde son identité multiculturelle et devienne „la voix de la France”. D’autres s’inquiètent pour le futur de ces richesses du monde français que la France rayonne vers eux. Leurs doutes sont-ils fondés ou non ? Difficile à dire, mais il ne faut pas aller jusqu’à Paris pour voir que ce genre de réformes est partout d’actualité.

Qu’on le veuille ou non, le monde des médias est entré dans l’ère de la transformation. Informatisation, internet, mondialisation, interconnexion, rythme de vie accéléré, tout y contribue. En Hongrie, les batailles politiques autour des médias ont peut-être fait oublier cette exigence de la modernisation. Pendant que la gauche et la droite menaient un combat sans merci pour le contrôle de la radio et de la télévision publique, ces médias ont lentement perdu une grande part de leur audience d’antan. La réforme était donc inévitable, même si les détails peuvent nous choquer.

Je me rappelle par exemple combien j’étais heureux, du temps de mes années de correspondant à l’étranger, quand, de retour en voiture pour les vacances, je réussissais enfin à capter Budapest en m’approchant de la frontière. La mélodie de la „chanson de Kossuth” – Kossuth-nóta – servait de signal à la Radio Kossuth, la première chaîne de radio nommée d’après le héros de la révolution hongroise de 1848-49. Je me sentais chez moi, la patrie c’est aussi un signal radio, la voix des annonceurs bien connus, les programmes que l’on aime.

Pourtant cette stabilité audiovisuelle-sentimentale n’était qu’apparente. Il y a quelques années un ouvrier qui travaillait dans notre maison de campagne avait amené avec lui un poste de radio pour écouter une chaîne de musique pop, une chaîne commerciale. Profitant d’une pause, j’ai allumé ma radio. Il suivit pendant quelques minutes l’émission, insolite pour ses oreilles, puis demanda: «Quelle est cette chaîne ? Kossuth, répondis-je ». Étonné, il rétorqua : «Ah ? Je croyais qu’elle n’existait plus depuis longtemps ».

Eh bien, à mon grand dam, parmi les premières décisions de la nouvelle direction de la radio hongroise, figura la suppression des signaux inchangés depuis des décennies des trois chaînes de la radio et le renvoi de la grande majorité des animateurs bien connus et dont les voix avaient presque meublé nos maisons. On a même transformé le nom des trois chaînes, Kossuth devint ainsi MR1 Kossuth (MR pour Magyar Rádió, 1 pour première chaîne) – «cela sonne beaucoup plus professionnel et moderne ». Il y a aussi MR2 Petôfi et MR3 Bartók. On a changé la structure des programmes, réduit les effectifs, changé le style des bulletins d’information. S’ensuivit un tollé inévitable, et en tant qu’auditeur, je trouvais moi aussi tout cela exagéré, mais les chiffres donnèrent raison aux initiateurs de ces changements: l’audiomat de la MR1 par exemple a presque doublé. Argument puissant : la meilleure émission ne vaut rien si elle ne trouve pas d’auditeurs. (Cela n’empêche qu’il faut toujours veiller à la qualité des programmes que l’on écoute...).

Des changements similaires ont également eu lieu dans la télévision publique. Et mon vénérable établissement plus que centenaire, l’Agence de Presse Hongroise ? À son apogée, dans les années 80’, le nombre de ses employés était bien supérieur à 1000, maintenant nous sommes quelque 350 personnes et nous publions plus de nouvelles qu’alors. C’est un établissement probablement unique au monde car notre propriétaire n’est autre que le Parlement, ainsi tous les partis veillent à ce que notre information soit impartiale. Et nous devons continuellement moderniser notre style, structure, augmenter notre rapidité, notre fiabilité, parce que de nouveaux concurrents surgissent de toutes parts sur internet et dans les médias. Des réformes internes, pas toujours évidentes, s’enchaînent, mais sans elles il serait impossible de tenir le coup.

Vous comprenez donc peut-être pourquoi je n’étais pas réellement surpris quand en France on a aussi voulu rationaliser un peu plus certains segments du monde des médias. Bien sûr, il ne suffit pas de le faire, il faut le faire bien.

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