Lumières dans la rue Ráday
Au son de la musique et à la lumière des lustres installés en pleine rue pour l’occasion, l’Institut Goethe fête au mois de mai ses 20 ans à Budapest. C’est l’oeuvre de Mischa Kuball qui illumine la rue Ráday et les nombreux événements culturels qui s’y déroulent.
La rue Ráday partant de la place Kálvin illustre bien comment un quartier en plein cœur de Pest peut redevenir accueillant et viable. De superbes immeubles Art nouveau abritent des cafés littéraires avec de grandes terrasses comme L’écume des jours qui rappelle Boris Vian, ou encore le Café Eckermann à l’Institut Goethe. A mi-chemin l’Université Károly avec son musée précieux contribue aussi au Festival d’été du lieu. Le maire de Ferencváros , Ferenc Gegesy, trouve que l’Institut Goethe a beaucoup apporté à la vie culturelle du quartier. Seule une institution de grande tradition peut se permettre le luxe de lancer cette idée un peu loufoque , en tous les cas ludique (à première vue) pour célébrer son anniversaire.
C’est à la tombée du jour que tout Budapest découvre les lumières: ce sont des lustres de toutes sortes que les habitants de la rue ont prêté et qui sont mis en valeur dans un projet minutieusement préparé par Mischa Kuball. Des liens de convivialité naissent entre l’artiste et les habitants de la rue lors de la réalisation du projet. Le soir venu la rue est pleine de ses habitants et d’autres curieux. Au saxo János Vázsonyi joue une pièce de Haendel, pièce favorite de sa maman pendant qu’une dame, une voisine salue l’artiste initiateur de la performance, Mischa Kuball. Le mur de son appartement jouxte celui de l’Institut – où ses grands-parents aussi ont vécu. Elle raconte ses récits, ses souvenirs de plusieurs décennies. Autour d’elle des jeunes filles, à peine arrivées dans le quartier, sont avides de connaître l’histoire locale et les nouvelles perspectives. Micha Kuball artiste et professeur à l’Ecole Supérieure des Arts et Médias à Cologne a déjà réalisé ce projet au Brésil et à la Biennale de Sao Paolo . L’artiste estime que c’est à l’échelle d’une rue comme Ráday que l’on peut vivre pleinement l’art, en réalisant les performances dans ce microcosme. Espace et lumières. Que ce soit les gens issus d’un milieu modeste, le peuple des favellas ou bien les propriétaires de villas luxueuses, partout son projet a été accueilli chaleureusement, affirme Micha Kuball. La division sociale et économique disparaît grâce à ce projet qu’il va continuer à réaliser aussi bien à Munich qu’en Australie. Il passera ensuite par la Nouvelle-Zélande et le Japon et par la Biennale du Caire. Il voudrait aller ensuite en Palestine et en Israël. Il ne veut pas faire de la politique - mais il ne peut pas s’avancer non plus sans se rendre dans des villes ayant eu une histoire tumultueuse, voire tragique telle que Banja Luka, Belgrade ou Sarajevo. Les lumières c’est ce qu’il y a de plus contemporain dans l’art. Avec des lustres souvent anciens on accède ainsi à l’art du 21ème siècle. L’artiste réussit à rompre la distinction entre espace publique et espace privé.
A l’intérieur de l’Institut Goethe une exposition est dédiée également au thème de la communication à travers les oeuvres de jeunes artistes hongrois. A la fin du mois de mai une expérience encore unique sera celle de présenter Milorad Krstic de Budapest dans le cadre d’une exposition au moment de la parution de son livre le Théâtre anatomique. «Dès les débuts l’Institut Goethe avait pour vocation de présenter des jeunes talents hongrois», comme l’explique Gabriela Gauler directrice de l’Institut Goethe. Elle évoque ses illustres prédécesseurs et parle de la façon dont Hans-Dietrich Genscher tenait à l’établissement de l’Institut Goethe à Budapest, le premier dans cette région de l’Europe. C’était un pont entre l’Ouest et l’Est en Europe. Désormais le Café Eckermann est lié à son histoire. «Le café doit être au service des arts tout comme Eckermann, le secrétaire de Goethe, était au service de son maître» , estime l’universitaire Wilhelm Droste qui a eu l’audace de fonder ce Café avec une revue littéraire en plein essor , Les Trois Corbeaux , d’après le nom de l’ancien Café du poète Endre Ady et de bien d’autres célébrités.
C’est là que Péter Esterházy a fait la lecture intégrale de Wether de Goethe en allemand toute une nuit. C’est là que Günther Grass, György Konrád et Imre Kertész se sont réunis pour débats et soirées littéraires. Parmi les événements hors murs il y a eu tout récemment une lecture à l’ambassade de Suisse avec trois écrivains - des femmes surprenantes qui ont très bien illustré toutes les difficultés du parcours de femmes sous le titre « littérature des mères - littérature des pères - le destin des fils et des filles ». La chanson de la mère triste de Carmen-Francesca Banciu originaire de la Roumanie et qui vit et écrit à Berlin en allemand. Elle a écrit entre autres Berlin, c’est mon Paris à moi. Christina Viragh a écrit aussi en allemand Le livre de ma mère - tout en vivant à Rome elle est aussi traductrice à succès de Kertész, de Márai... Euridice est le titre du dernier recueil paru de Virág Erdôs, des récits souvent surréels d’une jeune écrivain de Budapest. Elle a suscité des débats sur son site et on en parlera certainement beaucoup au Café Eckermann et dans les cafés qui jalonnent la rue Ráday.
Éva Vámos