L´Oca del Cairo et Lo Sposo deluso, deux pièces inédites de Mozart en première sur la scène de Budapest

L´Oca del Cairo et Lo Sposo deluso, deux pièces inédites de Mozart en première sur la scène de Budapest

Sur les quelque vingt-deux œuvres lyriques - operas serias, opéras bouffes, singspiels, drames - que nous a laissées Mozart, seule moins de la moitié est vraiment passée à la postérité, et encore….  Outre la trilogie des Noces, Don Juan et Cosí et ses deux grands singspiels que sont l´Enlèvement au Sérail et la Flûte enchantée, on retiendra encore Idoménée et la Clémence de Titus, guère davantage… Sinon peut-être la charmante Finta Giardiniera qui figure de temps à autre à l´affiche. Pour le reste, des œuvres en retrait, qui remontent pour certaines à une période où le jeune Mozart, adolescent, ne possédait pas encore pleinement ses moyens. Tel n´est pas le cas de deux opéras inachevés dont il entama la composition à l´âge de vingt-sept ans, donc pour lui en pleine maturité : l´Oca del Cairo (1783) et lo Sposo deluso (1784).  Des œuvres qui se situent dans le temps à mi-chemin entre l´Enlèvement au Sérail (1782) et les Noces de Figaro (1786), partant à une période où Mozart était en pleine possession de son art (1).

Le premier „L´Oie du Caire”, sur un livret de Varesco, le second, „Le mari dupé”, sur un livret attribué à Da Ponte.  Le premier, laissé en plan, non que Mozart n´en fût point satisfait au plan musical, bien au contraire, mais en raison de l´invraisemblance du livret de Varesco qui lui avait déjà servi le livret d´Idoménée. Invraisemblance ? Jugeons-en. Veuf, le marquis Don Pippo tient enfermées dans une tour sa fille Celidora et sa suivante Lavina qu´il entend épouser. Par contrat, il promet la main de sa fille au jeune Biondello, sous condition que celui-ci parvienne à pénétrer dans la tour dans un délai d´un an. Après une première tentative infructueuse, l´amant parviendra finalement à rejoindre sa belle en se dissimulant dans une oie factice, à l´instar du cheval de Troie. Difficile de trouver plus saugrenu. Une intrigue qui, malgré les instances de son père, poussa Mozart à abandonner son projet en cours de route.  Le second livret („Le mari dupé” ou „Trois femmes pour un même amant”) est, certes, plus digeste, mais assez banal : croyant son amant Astrabale mort, la belle Emilia, poussée par son tuteur Gervazio, se rend en province pour épouser un barbon, Bocconio. A peine arrivée, elle retrouve Astrabale vivant. Sauf que… celui-ci est poursuivi par les assiduités de deux autres femmes, Bettina et Metilde. Suit une série de rebondissements après quoi les amants finiront par s´unir, Metilde se rabattant sur le vieux Gervazio et Bettina sur le misanthrope et bougon Pulcherio, ami de Gervazio. Un canevas classique, maintes fois traité à l´époque, sans grande originalité (2). Du moins, pas suffisamment motivant pour permettre à Mozart de maintenir son inspiration au-delà de quatre numéros (ouverture, deux airs et deux ensembles). Ce qu´en disent les critiques ? Pour l´Oie du Caire : „Quelques pages magnifiques, notamment la finale du premier acte, scène bouffe exemplaire” (Renata Leydi). Quant au Mari dupé, on y relève généralement l´heureux effet du fondu-enchaîné entre l´ouverture et le quatuor initial.

Deux morceaux d´opéra bouffe que, pour les faire revivre, chefs et metteurs-en-scène, pour peu qu´ils s´y intéressent, ont pris l´habitude de fondre en un spectacle unique, sorte de pasticcio, moyennant quelques aménagements. Ce qui fut le cas de la représentation donnée ce soir à Budapest sous la baguette de Pál Németh, dans une mise-en-scène d´Attila Toronykőy. Un travail de refonte parfaitement réussi présenté sous la forme d´ un opéra en deux actes (3).

A vrai dire, plus qu´une simple refonte, c´est à un véritable opéra inédit qu´il nous a été donné d´assister ce soir. Opéra bouffe, certes, mais en grande partie débarrassé des invraisemblances du livret original. Nous offrant une action riche en péripéties et rebondissements parfois compliqués, mais à peu près cohérente. Action qui met en jeu huit personnages : outre Don Pippo et les trois couples de l’Oie du Caire, un huitième, Lionetto, comte riche, mais âgé, à qui Don Pippo destine sa pupille, l´équivalent du Bocconio du Mari dupé. Elle se résume en gros aux ébats et émois de deux couples qui finiront par s´unir au détriment du vieux Don Pippo qui se retrouvera dupé comme le dindon, en l´occurrence l´oie, de la farce.  Le tout servi par une excellente mise-en-scène truffée de trouvailles cocasses, avec humour, mais en finesse. Offrant par ailleurs une action sans cesse en mouvement, tels ces pas de danse esquissés par chanteurs et figurants. Le décor : une tour composée de petits blocs amovibles représentant à la façon d´un puzzle le portrait de Mozart. Et en toile de fond, la projection d´une nappe d´eau dont les mouvements soulignent le rythme et le climat de l´action. Quant aux chanteuses et chanteurs, une équipe de jeunes pleinement engagés et jouant pleinement le jeu, y prenant visiblement plaisir. De plus, fort bien chanté. Avec peut-être une mention spéciale pour une Zita Váradi déchaînée dans le rôle de la fougueuse et combative Lavina (la „fiancée” du vieux marquis) qui finira par rejoindre son cher Calandrino, également fort bien chanté. Mais tous excellents (4).

Au-delà d´une interprétation sans reproche, c´est dans la musique que tenait le véritable miracle de la soirée. Pour compléter et parachever une partition laissée incomplète, Pál Németh - qui dirigeait ce soir l´orchestre de l´Opéra - a réalisé là un remarquable travail au résultat totalement convaincant. Au point qu´il était pratiquement impossible de discerner ce qui était de sa plume ou de celle de Mozart. La partition que nous a laissée Mozart annonçait déjà les grands moments de ses futurs opéras, notamment les Noces. C´est dans cet esprit que Pál Németh a complété la partition au point que, maintes fois dans la soirée, nous ne pouvions nous empêcher de penser à tel air ou tel duo des Noces, de Cosí, voire de Don Juan.  Mais, sans jamais que cela tienne du repiquage, le tout fort bien fondu dans un ensemble parfaitement cohérent.

Bref, c´est un nouvel opéra que nous avons découvert ce soir. En quelque sorte une première. Du Mozart ? Oui. Sinon totalement de sa plume, du moins dans son esprit et avec tout son charme. En tous les cas, n´en déplaise aux puristes, de quoi nous avoir fait passer une soirée divertissante et dont nous restons sous le charme. (Et puis, ne l´oublions pas, offrant de bien beaux moments dans la partition originale. A commencer par l´ouverture ou encore ce charmant duo Auretta-Chichibio où l´on sent planer l´ombre du couple Suzanna-Figaro et surtout, le merveilleux et longue finale à rebondissements, chef d´œuvre du genre)

Mozart rêvait de créer un jour un opéra bouffe à la façon des Italiens. Rêve aujourd´hui réalisé en son nom….   Pour notre plus grand plaisir.

Pierre Waline

Photos : Péter Rákossy

1): pour preuve de leur qualité au plan musical, ces deux fragments d´opéra ont été enregistrés par Colin Davis et Peter Schreier avec entre autres la participation de Dietrich Fischer-Dieskau, Ileana Cotrubas, Robert Tear et Felicity Palmer (Philips, 1975) .

(2): une intrigue qui avait déjà inspiré à Cimarosa son intermède Le donne rivali.

(3): représentation donnée dans le petit amphithéâtre de l´Atelier Eiffel, ancien atelier des chemins de fer restauré et réaménagé, récemment ouvert au public.

„L´Oie du Caire ou le fiancé dupé”, produit par Pál Németh en collaboration avec Szilveszter Ókovács et Éva Lax pour l´aménagement du livret.

(4): István Kovács, Anikó Bakonyi, Gergely Biri, János Szerekován, Zita Váradi, Péter Balczó, Bori Keszei, Máté Fülép.

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