L’Obéron de C.M. von Weber à l’Opéra de Budapest (Théâtre Erkel)
C’est sur une commande du Covent Garden de Londres que Weber composa Obéron, son dernier opéra, d’après un poème de Wieland traduit pour la circonstance en anglais (1). Très malade - il était rongé par la tuberculose -, Weber, littéralement épuisé, mit ses dernières forces dans la composition, puis dans les répétitions et la direction de l’opéra, créé à Londres en avril 1826 (2). Il allait mourir à peine deux mois plus tard, alors qu’il s’apprêtait à regagner l’Allemagne. Des circonstances, donc, particulièrement pénibles. Malgré cela, l’œuvre de Weber remporta immédiatement un immense succès. Et pourtant, non satisfait du livret et de la structure de l’opéra, Weber projetait d’en réaliser une révision, une fois rentré en Allemagne, ce qu’il n’eut pas le temps de réaliser. Détail touchant: afin de pouvoir travailler sur le livret, Weber, pourtant affaibli, suivit des cours intensifs d’anglais (153 leçons !).
Bien que composé sur un livret anglais, Obéron n’est pratiquement joué et enregistré de nos jours qu’en langue allemande. Donné ici en langue hongroise (avec sur-titres en anglais, le monde à l’envers!)
Souvent comparé par son atmosphère au Songe d’une nuit d’été que Mendelssohn allait composer très peu de temps après, c’est, davantage qu’en tant qu’opéra stricto sensu, par son côté féérique qu’Obéron est à prendre pour être pleinement apprécié. Le livret, médiocre (Weber n’en était lui-même pas pleinement satisfait), offrant une suite de péripéties sans queue ni tête. Brouillé avec son épouse Titania qui met en doute constance et fidélité en amour, Obéron, roi des Elfes se fait fort de lui prouver le contraire. Pour ce faire, il déniche un couple, le chevalier Huon et la belle Reiza, fille du calife de Bagdad, dont, grâce à un cor magique (!), il parviendra à prouver la fidélité. De la sorte convaincue, Titania lui ouvrira à nouveau ses bras. Le tout sur fond d’aventures extravagantes ayant pour lieux Bagdad, Tunis et… la cour de Charlemagne. Comme on voit, pas une intrigue des plus simples. Mais donnant prétexte à des scènes exotiques et empreintes de féérie dans un monde enchanté. Domaines où Weber excellait particulièrement. Opéra conçu, dans sa version originale, sur le principe du Singspiel, c’est-à-dire alternant musique et dialogues parlés.
Pour cette représentation, non pas l’ensemble habituel de Budapest, mais une troupe venue de Transylvanie (opéra de Kolozsvár/Cluj) que nous avions déjà eu l’occasion d’entendre – et d’apprécier – par le passé.
Qu’en dire? Davantage qu’un opéra - au livret, reconnaissons, quelque peu tiré par les cheveux -, la représentation fut à prendre comme un spectacle, une sorte de féerie. Pour le coup, pris de la sorte, ce fut une réussite. Ne pouvant nous empêcher de penser par moments au Songe d’un Nuit d’été, sinon par son action, du moins par son ambiance. Un spectacle en constant mouvement et haut en couleurs, au sens propre du terme (costumes, éclairages). Un coup de chapeau au passage aux danseuses - au demeurant ravissantes - et danseurs en constante évolution tout au long de la soirée. Le tout relevant plus d’une production d’ensemble que d’individualités, il nous serait bien difficile de faire ressortir du lot telle ou telle, tel ou tel. A une exception près, toutefois, une mention spéciale revenant à la jeune soprano Yolanda Covacinschi dans le rôle de Reiza, délicieusement chanté. Excellent, également, le chœur, sollicité d’un bout à l’autre de l’œuvre, de plus en constant mouvement. Enfin, si l’orchestre n’est pas à classer parmi les toutes premières formations hongroises (cuivres par moments approximatifs), il nous servit ce soir une fort belle interprétation de l’œuvre, sous la baguette d’un chef (Zsolt Jankó) particulièrement inspiré. La partition étant ici rendue tout-à-fait dans l’esprit du compositeur, avec cet éclat, ces élans presque enivrants, mais aussi cette élégance et cette finesse propres à Weber. Enfin, saluons également la prestation d’un metteur-en-scène tout aussi inspiré (György Selmeczi), nous offrant un spectacle enlevé, léger, exempt de toute lourdeur. Point de ces décors encombrants que l’action pourrait inciter, ceux-ci étant remplacés par des toiles de fond mises en valeur par de beaux éclairages et, pour certains passages (tempête du 2ème acte), la projection de vidéos fort bien amenées. Le tout avec goût, et non sans une légère touche d’humour. A citer également les deux narrateurs venant se substituer aux dialogues parlés pour ne pas ralentir l’action (un homme et une femme: Tamás Jakab, Zsuzsa Tötszegi), acteurs hors pair, qui surent animer le tout avec entrain et humour.
Si, certes, Obéron ne figure pas parmi les sommets du répertoire de l’opéra, force est de reconnaître que Weber nous a offert là une œuvre empreinte d’un charme bien particulier presque envoûtant. Pratiquement unique dans son genre. Enchantement, c’est ainsi que nous l’avons ressenti, repartis sous le charme.
Un tout dernier coup de chapeau, enfin aux programmateurs, en premier lieu à ce bien sympathique ensemble venu de Transylvanie, pour avoir osé inscrire au répertoire une œuvre de nos jours bien rarement jouée. Ceci devant une salle pleine.
Pierre Waline
(1): ayant le choix entre Faust et Obéron, Weber choisit donc ce dernier sujet. Détail qui en dit long: c’est pour subvenir aux besoins de sa famille qu’il accepta la commande en dépit d’un état de santé alarmant...
(2): 16 répétitions et 11 représentations qu’il dirigea lui-même d’affilée, au détriment de sa santé. Car, outre sa renommée de compositeur, Weber jouissait également d’une grande réputation en tant que chef d’orchestre.
Photos : Attila Nagy (Opéra)
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