Livre: Marguerite Bloch - Sur les routes avec le peuple de France
Sur les routes avec le peuple de France. Ce livre de Marguerite Bloch aurait pu paraître dans la célèbre collection clandestine des Editions de Minuit. C’est ce que pense Claire Paulhan qui l’a édité 70 ans plus tard. Cet admirable récit relate les 17 jours que Marguerite Bloch a passés sur les routes en 1940, dans une France en déroute, quand des dizaines de milliers de Français quittaient la capitale et le Nord du pays vers le Sud, avec des moyens de fortune, pour fuir les troupes allemandes. Œuvre littéraire et document d’histoire, le livre fait sortir l’auteure de l’ombre de son mari, l’écrivain et dramaturge Jean-Richard Bloch, et de son frère, écrivain également, et non des moindres: André Maurois.
J’ai rencontré à Paris l’éditrice qui s’est spécialisée dans la littérature autobiographique méconnue. Philippe Niogret, auteur d’un livre sur la revue Europe et connaisseur de l’œuvre de Jean-Richard Bloch, a coédité l’ouvrage. Le volume est illustré par les gravures de Masereel et complété par un appareil critique et des textes-repères qui nous permettent de mieux rapprocher l’histoire individuelle de la grande Histoire.
Récit très personnel et pourtant vaste et complet – tel fut le commentaire de Jean Paulhan à qui Jean-Richard Bloch avait envoyé le texte, sans toutefois préciser qu’il s’agissait de l’œuvre de son épouse. Paulhan l’a pourtant deviné tout de suite. Pour la petite-fille de Paulhan, ce dactylogramme signé «Une Française» est une énigme. Mais Claude Bloch lui confirme qu’il s’agit bien du récit de sa mère. Marguerite, sans pouvoir attendre son mari, a dû partir avec sa fille aînée, enceinte de trois mois et les Masereel. Elle veut les conduire en lieu sûr: ce sera leur maison la Mérigote à Poitiers. Une marche à pied de 17 jours dans un pays traversé par le chaos. Un peuple trahi mais pas dupe, comme l’écrit Marguerite Bloch. Elle raconte l’exode: tantôt sur la nationale, une foule errante et pressée, tantôt sur les petites routes tortueuses. Il reste la chaleur humaine, des gens solidaires qui, bien qu’angoissés, gardent leur humour et leur lucidité. Ainsi leur analyse de la déroute de l’armée française: «Ils ne seraient pas entrés comme ça. On nous dit qu’on n’avait pas de matériel. Alors quoi, tout l’argent, les impôts et les taxes, ils l’ont mis dans leur poche!» Marguerite Bloch leur répond, en évoquant la guerre civile espagnole: «Mes enfants rappelez-vous les cris de l’Espagne que vous avez abandonnée sans armes». Le récit se termine avec l’arrivée et les retrouvailles des Bloch à Poitiers: «Cette fois, ça y est, et il ne nous reste plus qu’à tomber dans les bras les uns des autres».
Éva Vámos
Sur les routes avec le peuple de France, Marguerite Bloch
Editions Claire Paulhan. Paris, 2010