Livre: La Vieille maison
Nous sommes à Pest et à Buda à la veille de la révolution de 1848 pour l’indépendance de la Hongrie. L’histoire se déroule dans une « vieille maison », la demeure cossue de celui qu’on surnomme le « grand charpentier », Christophe Ulwing. Ce dernier a construit sa maison dans un quartier isolé de Buda et suscité l’incompréhension des Pestois en établissant sa demeure dans les « dunes » plutôt qu’en ville. Puis, du fait de sa renommée de charpentier (ses ateliers sont installés au même endroit que sa maison), la « maison neuve » va vite devenir la « vieille maison », celle du châtelain de Buda et celle surtout que tout le monde connaît.
Trois générations d’Ulwing vont se suivre au cours du roman et connaître gloire puis déchéance. L’apogée et le déclin de cette famille sont racontés par Cécile de Tormay avec en toile de fond historique la création de la riche et grande cité au pont suspendu.
Peu connu, ce roman a pourtant bénéficié d’excellentes critiques, a reçu le grand prix de l’Académie hongroise et est considéré comme l’égal hongrois des Buddenbrook de Thomas Mann.
Au-delà de cet aspect « médiatique », La Vieille maison est avant tout un roman très attachant de par la finesse du style de Cécile de Tormay. Celle-ci a donné beaucoup d’ampleur à ses personnages grâce à une description précise et détaillée de leurs caractères. L’art du portrait est porté à la perfection et les rapports entre les différents protagonistes de l’histoire sont particulièrement bien dépeints, avec beaucoup de délicatesse, et de façon très touchante :
- Le grand-père Ulwing, personnage clé du roman, est la figure dominante de la famille. Il est imposant tant par son autoritarisme que par son intuition, son énergie et son sens de l’opportunité. Issu d’une famille originaire des forêts d’Allemagne, il s’improvise charpentier et construit à partir de rien un véritable empire. Christophe Ulwing est autoritaire, mais visionnaire. La construction de sa maison (et avec elle de sa fortune de charpentier) constituera un aussi grand évènement que sa destruction. Sa mort marque le début de la chute de la « maison Ulwing ».
- Jean-Hubert, marié de force à une jeune femme qui mourra après avoir donné naissance à deux enfants, est le fils de Christophe Ulwing. Insipide, mou, totalement écrasé par son père, il n’a aucune confiance en lui et conduira d’ailleurs la « maison Ulwing » à sa perte, son propre fils ne faisant qu’en achever le déclin.
- Les deux enfants de Jean-Hubert, Anna et Christophe « junior ».
Anna est un personnage émouvant, touchant dans son isolement parmi tous ces hommes : sa mère est morte quand elle était très jeune. Elle est élevée avec un frère sensible et rêveur, par un père absent dénué de personnalité, un grand père qui l’aime beaucoup et un oncle qu’elle adore et avec qui elle se sent comprise, mais qui, malheureusement, mourra trop tôt. Le couple qu’elle forme avec Thomas Illëy est apitoyant dans son échec à réussir sa vie, par leur incapacité à exprimer leurs sentiments réciproques. Cécile de Tormay décrit très bien la dégradation progressive de leur couple. Ils sont par la suite émouvants quand ils deviennent lucides sur eux-mêmes, mais c’est malheureusement trop tard : « Tu te taisais et je ne suis pas de celles qui savent interroger. Nous nous sommes tus et je sais à présent que le silence recouvre mais n’efface rien. » (Anna à son mari Thomas). Anna est froide et perdue dans cette famille d’hommes. Mais elle a, tout comme son grand-père, une très forte personnalité, beaucoup d’énergie et de courage.
Son frère Christophe, sensible, rêveur, écorché vif, est un joueur perdu qui perdra sa famille.
Comme le dit très justement un critique littéraire, « L’histoire de ces trois générations est racontée avec une sensibilité et un bonheur d’expression rares. Les caractères sont analysés avec profondeur et finesse, l’atmosphère subtilement rendue, et l’arrière plan historique ajoute encore à l’intérêt du livre. Un très beau roman de surcroît bien traduit. »
Clémence Brière
La Vieille maison, de Cécile de Tormay- Editions Viviane Hamy, 280 pages,
1914 - Traduit en français pour
la première fois en 1992