LIVRE: Erzsébet Fuchs
Nous sommes à la fin des années 30 en Hongrie. Erzsébet, dites Bözsi, mène une existence douce et tranquille dans une jolie maison de Budapest située dans le quartier résidentiel du bois de la ville (actuelle ambassade de Suède). La vie choyée de cette jeune fille de la haute bourgeoisie est rythmée par les fêtes traditionnelles juives et les réunions de famille jusqu’au jour de ses dix-huit ans, où tout bascule soudainement : elle découvre que sa mère n’est pas sa vraie mère, son père se suicide et son frère part effectuer le service du travail obligatoire. Elle doit dorénavant vivre dans un petit appartement qu’elle partage avec sa belle-mère. La Hongrie alors n’est pas encore officiellement en guerre. Et même si le pays semble protégé, en réalité, la menace est permanente. En échange d’une promesse de « non-agression », Hitler impose l’application de la majorité de ses lois raciales anti-juives : l’antisémitisme progresse de jour en jour dans la vie quotidienne des juifs hongrois. La Hongrie finira par entrer en guerre, d’abord avec l’invasion des troupes allemandes en mars 1944 puis plus tard avec l’arrivée des troupes russes et le siège de Budapest.
Comment Erzsébet, adolescente jusqu’alors particulièrement gâtée, va réussir à supporter tout ce qui l’attend : l’angoisse de la mort, la crainte de la déportation, les bombardements ? Grâce à l’amour d’Henri, jeune soldat et médecin français qu’elle rencontre à Budapest et qui devient l’amour de sa vie : « J'apprenais à redouter la beauté des nuits claires. Et pourtant, j'étais heureuse. Entre deux alertes, le cœur battant, je courais rejoindre Henri. J'étais amoureuse et de cette façon-là la vie était belle. J'avais peur aussi. Peur pour moi, peur pour lui, peur surtout de ne plus jamais le revoir. »
La rencontre d’Henri et de sa bande de « joyeux lurons » -des soldats français évadés des camps allemands, réfractaires et aventureux, et qui étaient en tout près d’un millier à Budapest à avoir été accueillis par la Hongrie- au milieu de cet enfer va lui donner des ailes. Pour l’amour d’Henri, Erzsébet va renoncer à tout : famille, religion, pays, langue maternelle ; et elle va supporter l’insupportable : être enfermée sous terre des semaines entières, faire les pires corvées, éviter les viols et les déportations, se travestir, continuer à rire malgré tout et « vivre le plus normalement possible », puis fuir son pays, consciente que sa seule chance de gagner un pays libre et de s’en sortir est de parvenir à prendre « le dernier bateau d’Odessa ».
Erzsébet Fuchs a aujourd’hui 83 ans et vit en France. Cette histoire est la sienne : elle la raconte à la première personne tout en douceur et avec beaucoup d’humilité, pour offrir ce témoignage à sa famille. Bien qu’elle ait vécu et nous fasse vivre à travers son récit des moments tragiques et excessivement difficiles, nous sommes emportés et charmés car sa joie de vivre, son courage, son amour et les sacrifices qu’elle est prête à faire pour Henri, son héroïsme et l’optimisme de son mari, nous transportent !
Ce récit est une magnifique histoire d’amour, un témoignage bouleversant, une vraie leçon de courage et d’humilité. Il apporte un éclairage très intéressant sur la seconde guerre mondiale en Hongrie, sur ce qu’a pu représenter le siège de Budapest et sur ce que voulait dire « guerre » dans un pays comme la Hongrie que l’on disait en paix, jusqu’en 1944.
Encore un récit sur une période sombre de la Hongrie me direz-vous ? Certes, mais lorsqu’il y a de l’amour…
Le dernier bateau d’Odessa,
d’ Erzsébet FUCHS - Récit
Editions Mercure de France, 195 pages, mars 2006
Clémence Brière