Livre: Dubravka Ugresic
Emilie Zoli
Ce livre est formidable ! Après avoir répété cette phrase pour la énième fois, et bien obligée de remplir les trois mille caractères de cette colonne, j’ai pris la peine de vérifier le sens de ce mot dans mon dictionnaire. Formidable, donc : qui inspire ou est de nature à inspirer une grande crainte ; dont la taille, la force, la puissance est très grande; avec une valeur de superlatif : épatant, extra, fabuleux et j’en passe. Le petit Robert ajoute, bien à propos (cf) d’enfer ! Le dernier roman de Dubravka Ugresic, Le Ministère de la douleur, est bien tout cela. Bouleversant, drôle et puissant, il laisse une impression durable.
Tania Lucic enseigne la littérature à l’université d’Amsterdam. Sa classe est tout aussi hétéroclite que l’était la Yougoslavie. Bosniaques, Serbes, Croates, tous exilés, tous perdus. Tous lourds d’un parcours différent et pourtant tous nés dans un même pays, qui n’est plus. Pour la plupart, le cours est un alibi leur permettant de rester légalement en Hollande, leur intérêt pour la littérature reste à démontrer. Ils travaillent presque tous pour une boîte de fabrication d’objets fétichistes appelée le ministère de la douleur. Ils aiment à dire en ricanant «Je travaille au ministère». Ils ont été privés du pays dans lequel ils sont nés, ils ont été spoliés de leur langue, ils sont tous en convalescence. Le professeur va tenter une sorte de psychanalyse collective, tentant désespérément de trouver des points communs à ses élèves. Ensemble, ils vont évoquer leur Yougoslavie perdue, entamant un retour vertigineux vers le passé. Elle sera vite rappelée, par une dénonciation anonyme, à son rôle traditionnel de professeur. Ce roman est celui de l’exil sans rémission, de la langue qui s’effiloche, de la mémoire qui s’emmêle. Au bout du voyage, il n’y a pas de libération, pas de retrouvailles, seulement l’oubli. Mais la vie est tenace et explose dans un formidable cri que pousse la narratrice à la fin du roman. Sinistre mais vivante, bien vivante.
Dans un registre bien différent, un livre à tenir hors de portée des mouflets mais à lire absolument : Enculée, de Philippe Bisiou. En ce qui me concerne, le titre et le nom de son auteur avaient suffi à me conquérir et je n’ai pas été déçue : le livre tient ses promesses. Complètement pornographique et totalement réjouissant, enfin un roman où le plaisir féminin n’est pas terrifiant, où les protagonistes jouissent ensemble. Plus qu’une ode aux petits trous, un vrai roman égalitaire !
Le ministère de la douleur
Dubravka Ugresic
Albin Michel, Collection
"Les grandes traductions"
325 pages
Enculée
Philippe Bisiou
Stock
156 pages