Littérature: Jacques Roubaud à Budapest
Jacques Roubaud est de retour à Budapest. Durant deux jours, on a vu l’illustre poète et mathématicien en compagnie d’éminents écrivains et universitaires hongrois.
Jacques Roubaud appartient au groupe Oulipo qui fête ses 50 ans ces jours-ci. «Kézako l’OULIPO?», c’est comme cela que les auteurs oulipiens formulent la question relative à leur identité. Les pères fondateurs de l'Oulipo, Ouvroir de Littérature Potentielle, furent Raymond Queneau et François le Lionnais et ses adeptes aspirent à la liberté de création tout en se plaçant, paradoxalement, sous contrainte. Ils ont créé – et créent encore – des labyrinthes de mots et de sons, de prose et de poésie potentiellement productibles jusqu’à la fin des temps. Georges Perec et Italo Calvino ont également adhéré à ce mouvement qui est peut-être le groupe d’écrivains dont l'existence est la plus longue de toute l’histoire de la littérature. On rencontre rarement autant de jeunes en ligne à la recherche de rimes pour continuer les vers de Jacques Roubaud sur le capitaine Jonathan revenant d’Extrême-Orient et qui ramène son pélican pour le montrer au docteur Lacan – on doit certains motifs aux chantefables de Robert Desnos. Les poèmes de Roubaud ont inspiré plusieurs musiciens et artistes plasticiens, comme Pascal Dusapin et Christian Boltansky. Et ce n’est pas un hasard si Péter Esterházy, écrivain et mathématicien hongrois, intrigué par ce poète, a rejoint la soirée au Musée littéraire où l’on présentait un recueil de poèmes de Roubaud: Quelque chose noir, dont on doit la traduction hongroise à Levente Seláf qui a présenté le livre avec le professeur Szegedi-Maszák. C’est avec ces poèmes que Jacques Roubaud fait le deuil de sa femme, l’artiste-photographe Alix Cléo Roubaud morte prématurément.
«Infini ta nomination pure, amour de loin, ni vraie ni fausse»! On retrouve là l’amour de loin, topos de la tradition courtoise. Car ce poète est aussi historien littéraire qui a consacré de nombreuses études à la théorie poétique. Il s’est retrouvé entre les siens dans la salle des fêtes comble de l’Université ELTE de Budapest. C’est l’érudition sous forme ludique qui a attiré les étudiants du Centre des Hautes Études de la Renaissance (CHER). Il a retracé à leur attention l’histoire du sonnet depuis ses débuts médiévaux, pour passer à ses propres inventions poétiques et métriques. Il travaille d'ailleurs avec le professeur Iván Horváth à établir un répertorie poétique. Devant ce public acquis, ils dialoguent en présentant des jeux de langage. Autre dialogue-surprise: en son honneur, Ernô Keszei analyse des poèmes combinatoires de Sándor Weöres. Le professeur Keszei fait une présentation en français digne d’un historien littéraire – même s’il il est chimiste de formation. «De toute évidence, quelque chose s’achève, mais comment savoir quoi?»
Éva Vámos
Projection du film Oulipo. Mode d’emploi sur Arte le 20 décembre
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