L’Isola disabitata, ... une île déserte bien agréablement fréquentée....

L’Isola disabitata, ... une île déserte bien agréablement fréquentée....

Quand Haydn s’invite à l’Opéra de Budapest

L’impératrice Marie-Thérèse, qui s’y connaissait en musique comme en diplomatie, disait des opéras de Haydn. „ C’est à Eszterháza /Fertőd/ qu’il vous faut vous rendre si vous voulez écouter de bons opéras” Comme elle avait raison ! Et Haydn de déclarer quant à lui: „Mes opéras ne sont que futilités, comparés à ceux du jeune Mozart”. Il avait aussi raison (une exception: sa remarquable Fedeltà premiata).

 

 Bref, pas de véritables oeuvres maîtresses comme le sont Don Giovanni ou Les Noces de Figaro, les opéras de Haydn me font l’effet de délicieuses sucreries; de ces petites confiseries dont vous vous pourlèchez les babines sur le moment pour les oublier ensuite. Mais si délicieuses!

Tel est le cas de cette Île déserte (L’Isola disabitata – A lakatlan sziget) où Haydn nous invite à passer 80 minutes bien agréables en sa compagnie.

En l’occurrence, en la compagnie d’une jeune troupe de chanteurs et acteurs talentueux des plus séduisante. Un troupe qui se produit actuellement à l’Opéra de Budapest. Non pas dans la grande salle aux dorures trop brillantes pour elle. Non! Non pas là, mais douillettement recroquevillée derrière, dans l’intimité d’un foyer aux dimensions réduites qui lui sied tellement mieux (dit l’Escalier royal – Királylépcső). Des dimensions plus proches de ce thèâtre du palais des Esterházy où l’oeuvre fut créée en 1779.

La troupe? Quatre chanteurs (2 sopranes, un ténor, une basse), six musiciens (2 vents, 3 cordes et un piano) et un chef. La scène ? Trente mètres carrés tout au plus... Mais pour quel résultat !

Il faut dire que le sujet de l’oeuvre se prête à un tel cadre, l’action se déroulant sur une minuscule île déserte perdue au mileu des océans. L’action? Un peu tirée par les cheveux, une sorte de guerre des sexes. Mais où le librettiste Métastase, qui nous a habitués à plus sérieux, semble s’en être donné à coeur joie. En bref: laissée seule avec sa petite soeur sur une île déserte, une épouse – ou amante - (Constanza) peste contre ce mari - ou amant - indigne et lâche qui l’a abandonnée (Gernando). Erreur! Celui-ci a en fait été enlevé avec son compagnon (Enrico) par des pirates. (Soit dit en passant, quels sacrés services ils auront rendus à nos librettistes, ces pirates!). Revenu sur l’île 13 ans plus tard, le mari - ou amant -, après l’avoir d’abord crue morte, finit par retrouver sa bien aimée; et voilà tout notre petit monde réconcilié dans un beau final. Enrico ne manquant pas de séduire au passage la petite soeur (Silvia) devenue entre temps une bien jolie jeune fille.. Bref (puisque nous sommes sur une île) tout baigne! Fertőd (Eszterháza)

Au-delà du livret un peu limité, Haydn semble avoir pris un réel plaisir à cette composition particulièrement soignée: récitatifs „secco” remplacés par de longues phrases musicales, ouvrage bref et concis (limité à six arias), mais avec une constante tension dramatique et, comme toujours chez Haydn, un long et merveilleux final. Dramatique, mais traitée avec une pointe d’humour bienvenue pour faire passer la pillule. Et ici, comment ne pas nommer la jeune Zsófi Geréb responsable de la mise en scène, truffée de petites trouvailles plaisantes.

Une mention spéciale revient aux deux chanteuses, absolument remarquables, tant par leur chant que par leur jeu (et leur charme!): Renáta Göncz (la soeurette) et Eszter Balogh (l’amante). Membres d’un ensemble créé en 2011, rassemblant des élèves en fin de Conservatoire visant à sortir l’opéra de son cadre habituel, en quelque sorte à le décrasser (Moltopera). Et bien, voilà qui est réussi !

Pierre Waline

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