L’Islam face à la loi sur les Eglises

L’Islam face à la loi sur les Eglises

Rencontre avec Zoltán Sulok

 

Le Parlement hongrois a adopté en juillet dernier une nouvelle loi sur les Eglises reconnaissant 14 religions officielles (au lieu de 300 auparavant) qui pourront bénéficier de  subventions publiques. Certaines religions comme l’Islam sont écartées et ne peuvent désormais pratiquer leur religion que sous le statut associatif. Le président de l’Organisation des Musulmans en Hongrie, Zoltán Sulok, commente pour le JFB ces mesures et leurs conséquences.

 

 

JFB : Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer comment la communauté musulmane a acquis ce nouveau Centre Culturel Musulman, lieu de rencontre et de prière pour les musulmans de Budapest et de Hongrie ?

Zoltán Sulok. : Cette année, l’Organisation des Musulmans en Hongrie a fêté ses 11 ans d’existence. Depuis 2000, nous avons fourni beaucoup d’efforts pour acquérir un lieu de culte approprié à la pratique de notre religion. Au début, nous nous nous réunissions dans une petite maison de la rue Sáfrány, mais qui s’est vite avérée trop petite pour accueillir toute la communauté. Nous avons donc déposé des dossiers, demandé des subventions en Hongrie et à l’étranger. C’est l’Etat du Qatar qui a financé l’achat de ce lieu de culte et de culture inauguré en février dernier.

 

JFB : Pouvez-vous nous donner un aperçu de la communauté musulmane ? Il ne s’agit pas uniquement de musulmans venus de pays arabes ?

Z.S. : Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir sur l’histoire de la Hongrie. L’Islam en Hongrie n’est pas une nouveauté. Des musulmans sont arrivés avec les premiers occupants. Sous la dynastie Árpád (896-1301), ils occupaient des postes très importants au sein de la cour royale. Avec la disparition des Árpád, les musulmans ont dû quitter le pays ou se reconvertir au Christianisme.

La deuxième vague de l’Islam est apparue avec la présence d’Osman, donc des Turcs, qui a duré pas moins de 150 ans et qui a pris fin avec l’occupation de la Hongrie par la Monarchie autrichienne. Plus tard, dans les années 1870, l’Islam a fait son retour, la Bosnie ayant intégré l’empire autrichien mais fut contraint à disparaître lors de la deuxième guerre mondiale. La quatrième vague est celle des années 80, plus exactement 1987, où des étudiants musulmans venus de pays arabes et africains se sont organisés en communauté. Le changement de régime des années 90 a renforcé la liberté dans la pratique des cultes et a mis en évidence l’existence de l’Islam en Hongrie. Les étudiants qui ont constitué cette communauté se sont mariés et ont connu des hongrois qui se sont reconvertis à l’Islam. Le recensement de l’année 2001 compte 3700 musulmans en Hongrie, un nombre sous estimé. En 2010, nous avons effectué une estimation pour le compte de l’Organisation de la Conférence Islamique Mondiale qui nous a permis de recenser 32 000 musulmans en Hongrie avec environ 3000 musulmans hongrois de souche. Près de 60% des musulmans en Hongrie appartiennent à la nation arabe, le reste est composé de Turcs, d’Afghans et d’Asiatiques. Nous constatons aussi que le nombre de musulmans de souche hongroise va en progressant.

 

JFB : Les musulmans hongrois sont-ils concentrés à Budapest ?

Z.S. : Il est évident que la majorité des musulmans se trouve à Budapest mais l’Islam est présent presque dans tout le territoire hongrois et même dans de petits villages.

 

JFB : L’islamophobie qui règne dans certains États non musulmans est-elle un phénomène présent en Hongrie ?

Z.S. : La situation en Hongrie, pour un musulman, est sans aucun doute meilleure que dans d’autres pays. Dans ce pays, un musulman peut sans crainte mettre en évidence sa religion. Les musulmans sont moins nombreux et ainsi ils ne gênent pas ainsi les politiques. Mais je veux signaler que ce pays est très tolérant. Il est très rare de constater des gestes mal placés ou des remarques graves à l’encontre d’un musulman.

 

JFB : A propos de politique, le Parlement a voté une loi sur les Eglises écartant l’Islam des religions reconnues par l’Etat. Quelle est votre réaction face à cette décision ?

Z.S. : L’Organisation des musulmans en Hongrie fonctionne sur la base de la loi 1990/4 qui concerne la liberté des cultes : un groupe de 100 personnes pouvait se constituer en culte. Certains groupes religieux ont cependant profité de l’occasion pour détourner les principes de cette loi. L’Etat a donc décidé de mettre fin à ces «faux cultes» et de les isoler complètement en votant cette nouvelle loi. Cette loi a instauré de nouveaux critères : une communauté religieuse doit regrouper 1000 croyants et avoir 20 ans d’existence. L’Islam n’est pas dans cette liste.

 

JFB : Quels critères vous écartent de cette liste ?

Z.S. : Cette liste a été établie un peu curieusement. Il faut savoir que beaucoup de cultes regroupent ces 1000 croyants et ont 20 années d’existence mais ne sont pas inclus dans cette liste. Toutefois, il est toujours possible aux autres cultes de demander au Parlement de les y ajouter, par un vote aux 2/3. L’Organisation des Musulmans en Hongrie ne remplit pas le critère de la durée puisqu’elle ne jouit pas des 20 années d’existence. Ceci devient un grand obstacle et nous pousse à dire que cette loi n’est pas digne des règles régissant la liberté des cultes. Je suis sûr qu’elle ne durera pas très longtemps. Il n’est pas question de laisser en retrait une religion comme l’Islam qui est une religion international.

 

JFB : Cette mesure est-elle un obstacle aujourd’hui à votre fonctionnement ?

Z.S. : Dans une certaine mesure seulement. L’Église peut posséder des terres agricoles alors que ce n’est pas notre cas puisque nous avons le statut d’association. Mais cela ne nous pose pas de problème pour l’instant.

 

JFB : Vous ne pouvez pourtant pas toucher de subventions de l’Etat ?

Z.S. : Jusque là nous n’avions jamais reçu de subventions de l’État. Nous ne bénéficions que du 1% d’impôt que nos croyants avaient la gentillesse de nous octroyer et que l’État complétait avec une somme réglementée. Nous allons perdre cet avantage. Le financement de nos activités est souvent privé et donc aléatoire. Mais avant de parler de subvention de l’État, il est très important de préciser qu’il y a deux poids deux mesures envers les citoyens hongrois. Comment explique-t-on qu’une communauté puisse pratiquer sa religion librement alors qu’une autre est soumises à mille et une difficulté ?

 

JFB : Quels sont vos projets pour votre communauté ?

 

Z.S. : Nos activités ont commencé à Sáfrány utca 43 où nous nous occupions de l’enseignement de la religion, de la langue arabe et diverses activités culturelles aux musulmans et aux non musulmans. Nous souhaitons poursuivre ces activités nobles et éducatives. Le lieu est vaste et peut contenir un grand nombre de personnes. Nous organiserons aussi des conférences. Nous voulons montrer aux non-musulmans qu’il n’est pas nécessaire de ressentir une quelconque peur face à une religion qui n’est pas la leur. Le samedi, nous organisons un programme pour eux dont le titre est « Questions-réponses ». La rencontre est très amicale. Nous envisageons l’accueil des lycéens. Nous sommes ouverts à toute coopération et à toute visite car notre prophète Mohamed accueillait tout être humain dans sa mosquée. Nous voulons donc emprunter son chemin.

Hamid Hammad

 

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