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La fin de l’Orchestre Rajkó et de l’école Talentum ?

 

L’orchestre Rajkó pourrait bien cesser d’exister dès l’année prochaine. Le groupe de plus de vingt musiciens d’origine rom est actuellement la seule formation en Hongrie qui existe depuis 55 ans et qui dispose d’une école pour enseigner la musique et la danse tziganes. Cependant, l’État diminue chaque année la subvention qu’il leur accorde, ce qui rend désormais impossible leur fonctionnement. Cette année ils doivent encore donner des concerts en France et en Suisse. Le JFB a rencontré le leader du groupe, István Gerendási.

 

JFB: Vous débutez une tournée en France mi-novembre, pendant laquelle l’Orchestre Rajkó monte sur scène dans plus de 40 villes en France. Comment se sont créées ces occasions ?

István Gerendási: C’est la deuxième fois que le groupe est invité en France grâce aux impressarios Noël Gautier et Philippe Montabreux que l’on a rencontrés il y a trois ans. Cette année on part le 8 novembre avec un orchestre de 45 membres, comprenant notamment les élèves les plus doués de l’école, âgés de 14 à 17 ans, avec un programme majoritairement basé sur les traditions tziganes et les oeuvres des compositeurs hongrois, comme Bartók où Kodály. On va également donner deux concerts en Suisse. Et l’on espère y retourner car nous avons déjà signé un contrat pour des tournées en 2008 et 2009 avec notre troupe de danse.

Image retirée.

 

JFB: Comment pouvez-vous signer des contrats pour les années à venir si vous doutez encore de votre existence future ?

I.G : On dit souvent que la fortune sourit aux audacieux. Nous fonctionnons de cette manière depuis le changement de régime, quand l’État a cessé de nous subventionner régulièrement. On a toujours eu de l’aide occasionnelle, mais ces sommes ne suffisent plus pour le fonctionnement stable d'un orchestre au budget annuel de 100-110 millions de HUF. Il y a trois ans, nous avons obtenu le titre d’„Orchestre national des jeunes”, qui est un titre à durée déterminée, pour trois ans, et qui correspond à une subvention de 75 millions de Forints pour cette période. Ainsi, l’année prochaine, nous n’aurons plus de subvention sûre : nous sommes arrivés à un point critique. Cependant, nous sommes le seul orchestre qui emploie des musiciens tziganes à temps plein, et qui assure la relève. Notre école Talentum, est la seule institution d’enseignement en Hongrie qui recherche les talents et les forme. De plus, on ne reproduit pas la nouvelle génération des musiciens roms de rue… On essaie de leurs assurer du travail après le baccalauréat. Par exemple, de nombreux jeunes musiciens ont eu l’occasion de partir jouer en Allemagne. Ainsi, les enfants de notre école ne viennent-ils pas seulement de la Hongrie, mais aussi des pays voisins.

 

JFB: Malgré vos succès et vos mérites incontestables, de moins en moins d’enfants roms choisissent l’école Talentum.

I.G : Malhereusement c'est vrai, et cette tendance a de nombreuses raisons. En Hongrie, la musique tzigane est actuellement en crise. Après le changement de régime les hôtels et les restaurants ciblant les touristes ont exclu la musique tzigane de leurs programmes. Je parle de la vraie musique tzigane de qualité, pas seulement des synthétiseurs. Les restaurateurs ont oublié que ceux qui visitent la Hongrie sont aussi curieux des traditions. Ainsi, beaucoup de musiciens roms ont perdu leur travail. Je connais plusieurs musiciens de génie qui ont dû devenir gardiens de sécurité pour pouvoir nourrir leur famille. Ainsi ces musiciens ont dit à leurs enfant et aux enfants de leurs amis de ne pas apprendre la musique tzigane car on ne gagne pas sa vie avec. Et ceux qui choisissent la musique malgré ces prédictions pessimistes apprennent plutôt la musique classique à l'Académie de Musique où il peuvent au moins enseigner après. Heureusement, il reste encore des familles qui croient que la musique tzigane ne pourra jamais disparaître, et que les valeurs culturelles actuellement déformées changeront un jour.

 

JFB: Comment vous accomodez-vous de cette tendance selon laquelle la musique tzigane traditionnelle s’est diluée ces dernières années, tandis que, par exemple, le jazz manouche connaît un public de plus en plus large ?

I.G : On essaie de présenter un programme polyvalent. Par exemple, à l'occasion de notre 55ème anniversaire, cette année, au MUPA, nous sommes montés sur scène avec le Budapest Klezmer Band et avec l'orchestre Dohnányi qui joue de la musique classique. Je peux aussi mentionner le célèbre chorégraphe hongrois, Iván Markó, qui a réalisé un ballet avec de la musique tzigane vivante: la Romantiáda. Et nous programmons quand même au moins 150 concerts chaque année en Hongrie depuis les années 50.

 

JFB: Depuis quand travaillez-vous avec le Rajkó ?

I.G : Je travaille ici depuis 31 ans. J'ai fondé l’école Talentum en 1990, dont je suis le directeur manager depuis l’année dernière. Cela signifie que je gère les spectacles et le budget de l’école. Outre cette école, située rue Rottenbiller à Budapest, j’ai fondé des écoles à la campagne aussi. Nous avons aussi une école à Karancsság (dans le département de Nógrád, près de Salgótarján), où 85% de la population est d’origine rome. Des enfants provenant de familles extrêmement pauvres peuvent ainsi apprendre la musique gratuitement. On ne cherche pas à faire de chacun un musicien, mais je suis certain que l'art cultive leur âme… et influe sur leurs résultats à l'école !

Propos recueillis par

Judit Zeisler

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