L’Histoire d’une décision
Spécial anniversaire: 1989, 20 ans après
Prof. Dr. András Oplatka, né en 1942 à Budapest, a émmigré avec sa famille en 1956 en Suisse. Il est historien et journaliste, ancien correspondant du Neue Zürcher Zeitung à Stockholm, Paris, Moscou et Budapest. Il est l’auteur de la biographie d’István Széchenyi et vient de publier L’histoire d’une décision, sur l’ouverture de la frontière hongroise en 1989. Il travaille actuellement en tant que professeur à l’université Andrássy de Budapest et à l’université de Bécs.
J’arrive au Café Central, András Oplatka est déjà là. Il est en train de lire le Neue Zürcher Zeitung, le journal pour lequel il écrivait. Il est souriant, gentil et élégant, comme toujours. En dégustant notre café-croissant matinal, on commence à converser sur son nouveau livre. En français bien sûr, ce qui ne lui pose aucune difficulté.
JFB: Il existe une légende à propos de Gyula Horn. On croyait que c’est lui qui avait ouvert la frontière hongroise en 1989. Or, vous prouvez dans votre livre que ce n’est pas le cas.
András Oplatka: Peut-être avait-on besoin d’une personnification dans l’histoire. Ce qui est vrai, c’est que Gyula Horn avait un talent immense, un talent politique qui lui a fait utiliser cette histoire pour construire sa carrière politique. Mais la décision d'ouvrir la frontière a été prise par le président du conseil, le Premier Ministre Miklós Németh, qui a refusé toute publicité et qui, par conséquent et injustement, est resté dans l’ombre. Il y a une phrase qui prouve tout de même que cette prétention de Gyula Horn est largement exagérée. Horn était ministre des affaires étrangères. Il n’y a aucun gouvernement dans le monde où le ministre des affaires étrangères prenne une telle décision sans se mettre d’accord avec le ministre de l’intérieur ou le ministre de la justice. C'est impossible, y compris en Hongrie: c’est le Premier ministre qui a pris la décision, avec les autres ministres bien sûr, mais c’est lui qui avait le dernier mot. Et puis, c’était lui qui donnait des ordres aux ministres, y compris donc à Gyula Horn.
JFB: Peut-on dire que cette légende va changer après la parution de ce livre?
A.O.: Je ne crois pas. Peut-être dans la tête de quelques-uns. Mais je ne crois pas que les livres changent grand chose. Je vous donne un autre exemple: les légendes historiques donnent des explications extrêmement mémorables. Ainsi le partage du monde après la Seconde Guerre Mondiale. On pense que la décision a été prise en 1945 lors de la conférence de Yalta. Tout le monde y croit. Demandez aux gens partout en Europe comment la guerre froide a commencé, pourquoi les pays de l’Est ont été occupés par l’Union Soviétique, comment les pays socialistes ont été créés, on vous dira: à Yalta! Mais ce n’est pas vrai. Rien de tel ne s’est produit à Yalta!
D’ailleurs il n’y a pas de Traité de Yalta. Il n’y a qu’une déclaration de Yalta. Le seul pays de l’Est qui a y été mentionné, c’était la Pologne. Il y a un livre très sérieux qui démontre très exactement que cette légende est fausse. Et cela n’a rien changé.
JFB: Quelles ont été les réactions politiques à votre livre?
A.O.: Dans un journal j’ai lu : pourquoi fallait-il donner ce coup de pied à Gyula Horn, justement maintenant, alors qu’il est grièvement malade? Or cela n'a rien à voir, car j'ai travaillé à ce livre pendant quatre ou cinq ans, je n’avais aucune idée à ce moment-lá que Gyula Horn tomberait malade et je lui souhaite une bonne guérison. Le livre n’avait aucune intention politique. Pourtant, il pose problème pour chaque parti politique, c’est pourquoi les politiciens sont rétissants, plutôt muets, prudents. Pour la droite, cela donne l’impression que je célèbre les communistes, les réformistes de 89'. Je ne les célèbre pas, mais c’est vrai que ce n’est pas le gouvernement "standard" qui a pris cette décision. Pour les socialistes, la question de Gyula Horn pose problème car les personnages comme Németh ne font plus partie aujourd’hui de la scène politique. Pour ceux-là, aussi, cela représente une certaine difficulté de traiter le bouquin. Ce qui est peut-être un avantage.
JFB: Vous avez quitté le pays il y a une cinquantaine d’années, pourtant, dans votre livre vous utilisez des expressions assez variées. C’est un langage très sophistiqué, très fin…
A.O.: Je n’en suis pas conscient.
JFB: Mais avez-vous fait des efforts pour préserver votre langue maternelle?
A.O.: Il faut avouer que dans les années 70, je parlais assez mal le hongrois. Depuis, je me suis souvent rendu dans ce pays, j’ai même travaillé ici comme correspondant, je crois que j’ai réappris le hongrois pendant cette période.
JFB: Etait-il plus facile de traduire en hongrois votre propre texte écrit en allemand que de le faire traduire par un traducteur?
A.O.: En général il est particulièrement difficile de traduire son propre texte. Pour des raisons que je ne peux pas énumérer et que je ne comprends pas tout à fait, mais il me semble que c’est ainsi. Pourtant je n'ai pas choisi d'avoir recours à un traducteur. Pourquoi? Parce que quelqu’un m’a dit – et c’était un conseil très sage: si c’est un autre qui traduit ton texte, tu vas lire la traduction, et après trois phrases, tu vas te mettre en colère, et tu vas commencer à tout corriger (Il rit) C’était la même chose avec la traduction de la biographie de Széchenyi d’ailleurs, ça aussi je l’ai faite moi-même. En ce qui concerne le travail des autres, par exemple celui de l’éditeur, j’ai accepté presque sans exceptions leurs modifications et j’en ai beaucoup appris.
JFB: Pourra-t-on lire le livre en langue française également ?
A.O.: Je me demande un peu quel l’intérêt aurait la France pour un pays de l’Europe de l’Est – je pense qu’il serait assez limité. (Il hésite) Le problème, c’est que les Français s’intéressent à eux-mêmes, eux aussi. Comme la Hongrie, la France est assez fermée.
Timea Ocskai
- 1 vue