LES TORCHONS & LES SERVIETTES

LES TORCHONS & LES SERVIETTES

Image retirée.

S’il y a bien une chose qui me séduit et m’émerveille à Budapest c’est la créativité dans la récup, l’inventivité dans le fauché.

Il suffit de se balader dans les bars ou dans les kerts pour voir que cette ville fourmille d’idées déco à faire pâlir le Wallpaper du pauvre*.Ce sont les rois du bric à brac et de la bricole qui se la joue pas. Vous avez besoin d’une porte, d’une lampe, d’un dévideur de papier toilette, d’un canapé ? Pas de problème, faites la tournée des bars, regardez, piochez, copiez, chinez. Ensuite à vos établis. Car croyez le ou pas, très peu de ces recyclages originaux sont reproduits pour être vendus. Et s’il m’est arrivé de le déplorer souvent, j’ai compris la semaine dernière à Vienne que je préférais cent fois le foisonnement spontané à des objets calibrés pour être achetés.

Une soirée chez Gabarage**à l’occasion d’un vernissage très Happy Few de ce qu’ils appellent ici le Up Cycling Design a suffi à m’en convaincre tout à fait. Rien qu’au nom, on comprend qu’on ne mélange plus les serviettes et les torchons. Exit la création spontanée à la va je t’imagine au profit d’un détournement conceptualisé et édité des objets. On parle ici clairement d’un groupement de designers réunis sous une marque qui crée selon les règles du marché et non plus d’une bande de mac Gyvers allumés. Jusqu’ici pourquoi pas, mais quid de ce qu’ils vendent dans leur show room (ça fait plus chic que boutique) situé dans une des rues les plus branchées de la ville. Tout en sirotant du vin blanc voire pire, du mousseux autrichien, je découvre leur nouvelle ligne de produits artistiquement disposés. Dans un coin, un DJ powermac au poing, mouline la soupe lounge qui fait bien ; la directrice de la communication veille au grain et me prend visiblement pour un objet trop usagé pour être recyclé quand elle capte que je viens de Budapest. Pourtant, d’un point de vue créations, rien de bien nouveau sous les néons depuis le salon où je les avais vus en Octobre car….

Visiblement, ils recyclent beaucoup leurs idées également: encore et toujours de la bagagerie en toile de bâchée et rebâchée par tout le monde; des bagues faites avec des pièces de monnaie et autres menus objets ; une collection d’éclairages fabriqués à partir de pellicules usagées. Cette série Celluloïd tamise joliment la lumière mais gondole comme à Venise sous la chaleur des ampoules. On m’explique que c’est fait exprès…

Je prends donc assez rapidement la porte un verre à la main car c’est également soir de vernissage dans toutes les autres galeries de la rue. On déambule de l’une à l’autre ne serait-ce que pour se réapprovisionner en carburant. J’ouvre grand mes mirettes car ça y’est, je les vois enfin réunis, les bobos branchés avant garde de Vienne. La première surprise c’est de les compter si peu nombreux comme si c’était un tout petit milieu. Imaginez une seconde ce qui arriverait à Paris si les galeries d’art contemporain, payaient leur tournée d’un même élan. Gageons qu’elles seraient totalement submergées et que ça déborderait abondamment. Non, là, rien de désordonné à déplo-rer. C’est comme un petit ballet social bien circonscrit et bien réglé. Comme d’habitude le très médiatique curateur de Mak est au centre de tout entouré de sa cour, les femmes passent erratiques et fleurent bon le charme discret de la bourgeoisie griffée. Certains, que l’on reconnaît à de piquantes fantaisies vestimentaires, jouent leur rôle d’artistes de cour ; les galeristes sont extrêmement affables, les bouquets sur les comptoirs ma-gnifiques et les œuvres terriblement inégales, voire ennuyeuses.

Car oui, je n’ai vraiment rien vu ce soir-là qui spontanément m’entraîne, et m’emmène. Tout fleurait bon l’art et le design institutionnel bien propre sur lui. Heureusement c’est bientôt les vacances et j’ai rendez-vous avec Pest. Gageons qu’un soir, peut-être lovée au Szimpla dans un de ces canapés baignoire ou trabi qui me font si grande envie, je déplorerai pour la dernière fois, que les torchons et les serviettes ne se mélangent pas.

Marie-Pia Garnier

*Le Marie-Claire Idées

** Gabarage : Shleifmühlgasse 6, 1040 Wien

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