Les Livres du JFB

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Si la Hongrie m’était dessinée

 

Voilà un livre qui ne laisse pas indifférent.

Rien que son aspect surprend : format carré, papier recyclé épais, couverture noire comportant un titre rouge et deux dessins au crayon avec en évidence la croix gammée. Ce n’est pas attirant mais cela éveille notre curiosité; le côté «rétro» est intrigant.

Et puis, il se trouve que ce roman est classé dans un genre particulier : le «roman graphique». De quoi s’agit-il ? D’aucuns diront d’une BD pour adultes. Je dirais plutôt un court récit illustré. Un genre qui correspond bien en tous cas à notre époque «zapping» où l’on n’a plus le temps de rien, même pas de lire.

Et lorsque vous feuilletez cet ouvrage, vous découvrez une série de dessins entièrement réalisés au crayon, principalement en gris (pour les années de guerre, la couleur n’étant utilisée que pour les rares évocations d’un passé plus récent). Le coup de crayon est sec, parfois violent, et exprime avec beaucoup d’intensité les horreurs et les tragédies de la Seconde Guerre mondiale.

Seules contre tous est un récit autobiographique relatant une partie de l’enfance de l’auteur, Miriam Katin, qui, en compagnie de sa mère, a dû fuir les persécutions nazies durant la Seconde Guerre mondiale. Vivant actuellement aux Etats-Unis, l’auteur a voulu, à travers ce roman graphique, se souvenir de ce passé difficile, comprendre pourquoi elle n’a «jamais su élever ses enfants dans le confort d’une foi inébranlable dans l’existence de Dieu». Après la guerre et son année de «clandestinité» racontée dans ce livre, Miriam retourne vivre à Budapest avec sa mère et son père enfin retrouvé. Ils vivent heureux, dans cette ville à laquelle ils sont attachés, jusqu’en 1956, date à laquelle ils fuiront la Hongrie.

Dans ce roman graphique donc, la petite Miriam, âgée alors de 3 ans, doit soudainement renoncer à sa vie tranquille : alors que son père est enrôlé dans l’armée hongroise, sa mère décide subitement, en raison de son origine juive, de quitter Budapest avec sa fille pour échapper à la déportation qui menace les juifs. De 1944 à 1945, se faisant passer pour une servante russe et sa fille illégitime, elles parcourront la campagne hongroise, vivant dans la clandestinité et croisant sur leur chemin toutes sortes de gens, des criminels, des collabos, de braves paysans... Elles connaîtront l’horreur mais aussi la tendresse et le bonheur retrouvé.

Le talent de cet auteur est de parvenir ici à parler de la Seconde Guerre mondiale en bandes dessinées, ce qui est plutôt inhabituel pour ce genre littéraire. Cet ouvrage est d’ailleurs unique en son genre. Et de là vient toute son ambiguïté : des dessins très durs, aussi noirs sur le fond (horreurs de la guerre) que sur la forme (un coup de crayon noir sec et violent) et en même temps une narration douce et apaisée.

Seules contre tous est indéniablement un récit bouleversant au graphisme sublime. Certains diront un chef-d’œuvre. La découverte de l’horreur du monde par cette petite fille élevée dans la foi, mais qui perd peu à peu sa confiance en Dieu, est infiniment émouvante : «Dieu n'est pas la lumière, Dieu n'est pas les ténèbres peut être même qu'Il n'est rien ni personne.»

Mais en même temps, ce côté atypique de l’ouvrage attire et repousse à la fois : car malgré tout le bien que je pense de ce livre- B.D., on le referme avec une sensation d’inachevé.

Un roman graphique ne remplacera jamais un roman….

Clémence Brière

 

Seules contre tous -

Myriam Katin -

130 pages, éditions du Seuil, 2006.

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