LES LIVRES DU JFB

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En balade avec Iza…Voilà un roman dont le titre est aussi énigmatique que le livre lui-même. Il est en effet difficile de saisir le sens aussi bien du titre originel (Pilátus) que de sa traduction française (La Ballade de la vierge puis La Ballade d’Iza). Petite tentative de décryptage… Iza, à la mort de son père, décide de prendre en main le destin de sa mère et de l’emmener vivre avec elle à Budapest, lui faisant quitter son petit village natal de la Grande Plaine. Iza pense sans doute qu’en gérant tout elle-même, cette installation, puis cohabitation, à Budapest se passera en douceur et rendra sa mère heureuse. Or, la fragile vieille dame se pétrifie dans la non-existence qui lui est ainsi offerte puisque sa fille l’a privée de tout : de ses objets, de son animal le lapin Kapitány, de ses souvenirs, de ses habitudes, du sentiment d’être utile…Iza, jeune médecin, dégage une aura particulière : succès professionnel, beauté, courage, dévotion vis-à-vis de ses parents. Autant de qualités qui font d’Iza, paradoxalement, un personnage à la perfection glaciale, trop calculateur, inaccessible, n’arrivant jamais à écouter ses sentiments et donc à aimer : «Un lapin c’est fait pour finir en civet ou en pâté, les hommes, c’est fait pour ceci ou pour cela, Dorozs pour devenir une station thermale, la tombe de Vince (son père) pour recevoir une stèle, la vieille maman pour habiter dans un appartement de Budapest. Iza prend soin de tout le monde, et s’il lui arrive d’oublier quelqu’un, ce ne sera jamais qu’elle-même.»  Jusqu’au jour où Iza parviendra elle aussi à éprouver des sentiments, à être un peu plus humaine.Iza est définitivement un personnage énigmatique, forte et faible à la fois, froide et généreuse, sensible et insensible, gentille et dirigiste... En réalité, on ne sait qu’en penser. De là vient l’ambiguïté des titres : Iza est à la fois, comme le signifie le titre français, la fille et femme parfaite qui s’occupe consciencieusement de ses parents, réussit brillamment, mais aussi le Pilate - auquel fait référence le titre hongrois - qui va, tel Ponce Pilate, condamner quelqu’un (dans ce cas précis sa propre mère) malgré elle et sans même comprendre comment cela a pu arriver. Elle l’avoue d’ailleurs elle-même : «J’ai pourtant essayé de faire tout ce qui était humainement possible. Je ne suis pas coupable.» Iza croit œuvrer pour le bonheur de sa mère; en réalité elle s’avère responsable de son malheur et, tel Pilate, elle «s’en lave les mains».La Ballade d’Iza se révèle aussi comme une véritable promenade littéraire : 

  • à travers le temps, car l’auteur manie avec dextérité les flash-back pour nous faire découvrir peu à peu la personnalité des différents personnages du roman ; le livre commence et finit par un deuil et entre temps on voyage avec les héros dans plusieurs époques de leur vie.
  • dans Budapest des années soixante et la campagne hongroise.
  • entre deux mondes, d’un côté l’ancien monde incarné par Etelka la mère d’Iza, de l’autre le monde moderne incarné par Iza.

Enfin, le récit est aussi entraînant qu’une petite «ballade» musicale de par la nostalgie et la finesse de l’écriture de Magda Szabó. L’auteur nous offre ici un livre d’une finesse psychologique rare, décrivant avec beaucoup de subtilité, mais dans un vocabulaire simple, les relations mère-fille, le tout sur un ton nostalgique qui ravit le lecteur. A se demander pourquoi ce livre, quand il parut en France pour la première fois en 1963 (date de la première traduction française aux éditions du seuil et sous un autre titre : La Ballade de la vierge) passa inaperçu. Heureusement, depuis longtemps déjà (années 80) celle que l’on surnomme la «grande dame des lettres hongroises» a gagné ses lettres de noblesse à l’étranger avant de finir par être enfin reconnue comme il se doit en France avec La Porte (prix Fémina 2003).Un talent hongrois à explorer pour nous Français de Budapest ! Clémence Brière

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