Les femmes en Hongrie
Rencontre avec Mária Heller-Soignet
Mária Heller-Soignet est une sociologue francophone, directrice de l’Institut de sociologie de la Faculté des sciences sociales à l’Université Loránd Eötvös. Une femme épanouie, qui a réussi à conjuguer recherches et vie familiale . Nous l’avons rencontrée dans son bureau au nouveau Campus universitaire au bord du Danube.
JFB: Nous abordons la situation des femmes en Hongrie, toujours d’une actualité brûlante . Quels sont vos sentiments et vos expériences en ce domaine ? Que diriez-vous aux lecteurs francophones qui arrivent en Hongrie avec des expériences différentes ?
Mária Heller-Soignet: Il faut traiter cette question, à mon avis, de façon assez complexe. Je me souviens qu’au moment du changement de régime politique en 1989, les chercheurs étrangers qui arrivaient en Hongrie, étaient fort étonnés qu’il n’y ait pas de mouvement féministe et que les femmes n’aient pas de revendications bien formulées. Mais la Hongrie était dans une situation assez particulière : après la révolution de 1956, la politique de natalité a permis aux femmes de réconcilier le travail et le rôle de mère de famille. Ce que les femmes revendiquaient dans des pays occidentaux étaient des acquis en Hongrie, comme les allocations familiales et le congé de maternité accordés aux femmes. Elles percevaient donc six mois de salaire complet puis l’allocation de maternité pendant trois ans et avaient la garantie de retrouver leur travail après ce congé. Alors que dans les pays occidentaux, les femmes d’un certain niveau social luttaient pour pouvoir rentrer dans le marché du travail, en Hongrie, pour elles, c’était une obligation qui s’ajoutait au fait que le salaire des hommes ne suffisait pas à faire vivre une famille. Le faible taux de natalité à l’époque a révélé que de plus en plus de femmes (surtout des intellectuelles) ont privilégié leurs ambitions professionnelles à leur statut de mère de famille qui devait « servir la nation ». Nous avons étudié les débats publics sur la démographie à l’époque communiste, qui nous ont permis de découvrir les tabous comme celui de l’identitée nationale sous le régime de Kádár. Mais certains débats ont donné l’occasion aux participants de toucher à des questions brûlantes ou faire allusion à des sujets interdits par le régime de l’époque. Il n’y avait alors pas d’organisation de femmes indépendantes, les quelques organisations qui existaient étaient sous l’emprise du régime. C’est justement avec le changement de régime politique, dans les années 90, que des femmes intellectuelles ont commencé à s’organiser en mouvements notamment pour aider les femmes battues, les enfants subissant des violences, etc..
JFB: Quelle est la situation des femmes actuellement en Hongrie et quelles sont vos expériences personnelles ?
M. H.-S.:Je pense que la situation des hommes et des femmes est difficile actuellement. La Hongrie a suivi le même chemin que les pays occidentaux. En effet, les jeunes couples mettent plus de temps qu’avant à former une famille. D’abord parce qu’ils sont scolarisés plus longtemps, mais aussi parce que le marché du travail est très tendu. Dans le milieu universitaire autour de moi – les jeunes commencent à vivre en couple – mais c’est rare maintenant de voir des étudiants qui ont des enfants. La situation des femmes hongroises est toutefois très variée. En pleine campagne par exemple, les réseaux sociaux ont du mal à intervenir auprès des femmes et familles qui vivent difficilement.
Je pense aussi que tout dépend du contexte, de la division des tâches au sein de la famille. Je ne veux pas trop m’étendre sur ma situation personnelle mais avec mon mari (français), dès le début de notre relation, nous avons réfléchi à l’équilibre du couple dans la construction de notre famille. Nous avons toujours partagé les tâches, comme le bain, les promenades des enfants. De manière générale, nous participions à l’éducation des enfants de manière égale, ce qui nous permet d’avoir chacun une relation excellente avec nos enfants qui ont tous les deux le sens de l’égalité entre les sexes. Ce modèle égalitaire existe autour de moi dans d’autres familles, mais il y en aussi d’autres modèles très différents et parfois plus difficiles à vivre.
JFB: Vous avez de nombreuses publications . Quels sont les sujets les plus importants de vos recherches et quelles sont vos activités à l’Université ?
M. H.-S.: J’enseigne et je fais des recherches depuis plus de 30 ans à l’Institut de sociologie dont je suis la directrice. Ma spécialité est la sociologie de la communication et des médias. Avec quelques collègues, nous travaillons depuis longtemps sur l’analyse des débats publics pour voir comment certaines questions politiques et sociales prennent forme dans l’espace public. Je m’occupe également des relations internationales de la Faculté des sciences sociales, y compris des échanges universitaires avec Paris, Lyon, Toulouse et avec des universités belges et suisses. Avec certains de mes collègues francophones, nous avons été invités plusieurs fois par Pierre Bourdieu et son institut de recherche. J’organise aussi quelques séminaires intensifs dans le cadre de l’UE. Nous irons d’ailleurs avec trois étudiants en ce mois de mars à Istambul où il sera question de la société civile et de l’adhésion de la Turquie à l’UE.
Éva Vámos