Les Européens et le style Sarkozy
Les correspondants à Bruxelles des principaux titres de la presse française se font l’écho d’un certain agacement des partenaires européens de la France à l’égard des positions changeantes de Nicolas Sarkozy sur l’Europe. Jacques Docquiert écrit dans Les Echos que le président de la République, après avoir suscité une certaine fascination et un capital sympathie chez la plupart de ses homologues européens, semble avoir renoué avec un travers français, « une mise en cause systématique de l’Europe lorsqu’un obstacle surgit, que ce soit lors des derniers élargissements avec la menace du prétendu « plombier polonais », de délocalisations douloureuses, de la perte de revenus de certains agriculteurs pourtant longtemps choyés par la politique agricole commune ou des difficultés occasionnelles de telles catégories sociales, comme celle des restaurateurs auxquelles Jacques Chirac avait promis une baisse rapide de la TVA sachant qu’il lui serait très difficile de l’obtenir ».
Après s’être présenté comme le sauveur de l’Europe au moment de la négociation du « traité simplifié », il accumule les faux pas européens : attaques lancinantes contre la Banque centrale européenne (qui devient une institution à part entière avec le nouveau traité), refus d’amender une politique budgétaire désastreuse pour les finances publiques et, dernier dérapage en date, l’évocation, il y a quelques jours, d’une remise à plat, voire d’une suppression des quotas de pêche. Pour le correspondant à Bruxelles, « cette attaque contre l’un des instruments clefs de la politique commune de la pêche créée en 1983 paraît totalement injustifiée à la plupart des capitales européennes. Confrontés, à l’époque, à la nécessité de protéger ensemble leurs ressources halieutiques, les Quinze avaient choisi, il y a quatorze ans, de doter l’Europe d’une zone commune de pêche dans laquelle ils fixeraient ensemble les « totaux admissibles de capture », et leur répartition entre les flottilles nationales en fonction de leurs traditions de pêche (les fameux quotas). Et ce système fonctionne plutôt bien ».
L’implication de Cécilia Sarkozy (ex-épouse du président) dans la libération des infirmières bulgares a aussi beaucoup étonné les responsables européens. Si certains s’en sont félicités, d’autres ont déploré que le rôle joué par l’Union européenne, qui avait quelques années plus tôt renoué le dialogue avec Kadhafi, soit totalement occulté malgré la présence de la commissaire aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner.
Certaines capitales, comme Berlin, regrettent que Nicolas Sarkozy fasse souvent cavalier seul et prenne des initiatives sans consulter ni prévenir ses partenaires. Ce fut le cas lorsqu’il proposa de charger un «comité des sages» de fixer les frontières extérieures de l’Union, de convoquer un sommet des dirigeants de la zone euro ou encore d’établir une Union méditerranéenne entre pays du contour de cette mer. Des initiatives qui sont loin de faire l’unanimité au sein des Vingt-Sept.
Pour Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles du quotidien français Libération, Nicolas Sarkozy, vu de l’Union européenne, est une « girouette qui inquiète » : « Certes, personne à Bruxelles ne regrette Jacques Chirac, qui a laissé l’Europe en état de mort clinique après le « non » au référendum de 2005. Mais rares sont ceux qui voient en Sarkozy un grand Européen, tant les signaux qu’il envoie sont contradictoires. « On a vraiment l’impression que Sarkozy est soumis à deux influences contradictoires », analyse un diplomate. D’un côté, Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, europhile incontestable. De l’autre, Henri Guaino, conseiller spécial de Sarkozy, souverainiste patenté. » Pour un diplomate étranger, rapporte Jacques Docquiert, «la France a sans doute le meilleur ministre des affaires européennes de cette décennie», mais ce même diplomate «déplore qu’il ne soit pas davantage entendu par un président qui semble bien seul à décider alors qu’une présidence réussie de l’Union passe par une étroite concertation avec tous les partenaires.»
Jean Quatremer écrit que Janez Jansa, le Premier ministre slovène, a exprimé en quelques mots l’agacement que suscite le style Sarkozy en Europe. « Nous ne nous battrons pas pour être les vedettes, cela nous est égal, a lancé, le 16 janvier, devant le Parlement européen, celui qui préside l’Union pour un semestre. La Slovénie ne cherche pas le grandiose mais la substance a-t-il ajouté, un rien méprisant. Une façon de dire que Ljubljana laisse sans problème la présidence clinquante à la France, qui lui succédera le 1er juillet à la tête de l’Union… ».
Le bureau européen du quotidien Le Monde rapporte qu’à Bruxelles, « on s’inquiète des rodomontades de M. Sarkozy, en particulier lorsqu’il prétend qu’à la fin de sa présidence, l’Europe sera dotée d’une politique commune de la défense, de l’immigration, de l’énergie et de l’environnement, les quatre priorités de Paris. D’autres craignent de voir la France imposer son agenda national : « il faudra qu’il évite d’énerver ses collègues et de se montrer arrogant », estime un haut fonctionnaire. » Inquiet de cette atmosphère, Jean-Pierre Jouyet, a lancé un avertissement à ses partenaires : « Pour gagner, une équipe doit jouer collectif quand bien même il y a une star dedans. »
Carine Palacci