L’enfant imaginaire
L’éducation et la politique familiale
Pour parler de l’enfance, le JFB est allé à la rencontre de Gábor Erőss, sociologue spécialisé sur les questions d’éducation, à l’origine de deux projets (hongrois et européen) sur les inégalités scolaires, et également conseiller auprès du nouveau parti écolo, le LMP (Lehet Más a Politika ou « une autre politique est possible »). Ce francophone très actif nous a présenté le système éducatif à travers un regard professionnel et engagé.
JFB : Quelles sont les caractéristiques du système éducatif hongrois ?
Gábor Erőss : La Hongrie ne dispose pas de carte scolaire. Cette absence d’affectation des élèves aggrave les inégalités sociales. J’ai mis en évidence à travers une étude sur les écoles d’un arrondissement de Budapest la stratégie des parents pour le choix des écoles et celle des écoles pour la sélection des élèves .
Un des acteurs majeurs de l’orientation des élèves reste le centre médico-psycho-pédagogique, composé de psychologues, d’éducateurs spécialisés, de médecins. Cette équipe pluridisciplinaire fait passer des tests aux enfants âgés de 5-6 ans qui révèlent des difficultés apparentes. Quand les tests décèlent des «risques» sérieux de futurs troubles de l’apprentissage, l’enfant est renvoyé vers un comité d’experts, sorte d’autorité de placement, qui l’oriente alors vers une filière spécialisée (équivalent des sections d’enseignement général et professionnel adapté -SEGPA- en France, mais pour le niveau élémentaire).
L’enjeu aujourd’hui est de savoir quelle est la frontière entre handicap mental et normalité. Pendant des décennies, beaucoup d’enfants, Roms particulièrement, étaient orientés vers ces filières spécialisées. Or, à l’âge de 6 ans, les aptitudes de l’enfant sont souvent le reflet de la catégorie sociale des parents. En tout état de cause, si ces enfants en difficulté étaient intégrés dans des classes normales avec un système d’aide spécialisé, on pourrait éviter ce type de ségrégation.
JFB : Comment fonctionnent les écoles «normales»?
G.E. : Le système scolaire «normal» est également très diversifié, avec des écoles de bon et moins bon niveau. Dans ces écoles, la répartition par filières crée de nouvelles sélections. Par exemple, les filières dites «anglais» regroupent souvent les enfants de cadres. Les différences détectables au début de l’école primaire ne font que s’accroître au fur et à mesure de la scolarité des enfants et sont aussi très territorialisées. C’est pourquoi le LMP propose de créer des ZEP (Zone d’Education Prioritaire) afin de contre-balancer le processus de ségrégation territorial, notamment dans le Nord-Est et le Sud-Ouest où sont concentrées les populations Roms.
Toutefois, le gouvernement mène aujourd’hui une politique d’austérité, avec des coupes sombres dans le budget de l’Etat, qui dessert les populations les plus pauvres.
JFB : Comment les compétences sont-elles réparties en matière scolaire entre l'Etat et les collectivités ?
G.E. : Les municipalités ont aujourd'hui un large pouvoir de décision concernant la vie des écoles (ouverture, fermeture, rénovation). L'Etat leur verse des subventions mais qui ne couvrent pas la totalité des dépenses scolaires. Les municipalités baissent donc aujourd'hui d'autre postes de dépenses afin de faire face aux dépenses en matière scolaire. Ce sont les autres services à la population qui en pâtissent. Les inégalités territoriales jouent ici encore car les municipalités les plus riches (avec plus d'impôts locaux) s'en sortent mieux. Les écoles ecclésiastiques, mieux financées, risquent actuellement de prendre le relai des écoles municipales.
JFB : Que pensez-vous de la mesure gouvernementale qui vise à réduire l’obligation de scolarité à 16 ans (au lieu de 18 ans) ?
G.E. : Le LMP a lancé un référendum sur ce sujet. Avec cette mesure, certains élèves de secondaire en difficulté scolaire quitteront l’école plus tôt. Certaines écoles pourraient également se «débarrasser» plus vite des élèves difficiles.
Cette solution ne résout pas en toute évidence le problème récurrent de formations dans ce pays. Les entreprises se plaignent en effet de ne pas trouver suffisamment d'ouvriers qualifiés sur le marché du travail. Il faudrait par conséquent réformer l’enseignement secondaire, individualiser les parcours scolaires et offrir un soutien aux élèves en difficulté pour éviter l’échec scolaire.
Aujourd’hui, on est confronté à une démission de l’Etat face à ce sujet crucial qui concerne l’avenir du pays, mais aussi à la démission d’une partie des professeurs très mal payés. Je pense que nous devrions prendre exemple sur le modèle finois où le métier de professeur est un des plus prestigieux et mieux payé, ce qui génère plus de motivation chez ces derniers et donc plus de réussite scolaire.
L'enquête PISA, réalisée dans les 34 pays membres de l'OCDE et qui évalue l'acquisition de savoirs et savoirs-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire, montre qu'en Hongrie les inégalités sociales influent plus qu’ailleurs sur les performances scolaires, estimées en-dessous de la moyenne globale.
JFB : Comment percevez-vous la politique familiale du gouvernement ?
G.E. : Le gouvernement nous donne une vision idéologique et idéalisée de la famille qui ne correspond pas à la réalité. Le désir d’enfant des familles, à en croire les enquêtes, est là ; mais à ce désir, le gouvernement de droite, sans prise aux processus historico-démographiques réels, répond par le seul fantasme de l’opulente famille nombreuse.
Pourtant, le taux de natalité est en baisse constante depuis trois décennies. L’histoire a eu des impacts sur la natalité dans certaines régions hongroises dès le début du 20ème siècle : dans le sud du Baranya (frontière Croate), la famille à enfant unique était d’usage pour des raisons foncières, les terres ne devaient pas être divisées.
Très sécularisée, la Hongrie a été un des premiers pays (avec le Danemark et l’Allemagne) à afficher une telle baisse de natalité dès le début des années 1980. La dernière génération «nombreuse» se situe entre 1973 et 1976.
La politique de la famille du gouvernement actuel est diverse, mais vise d'abord à relancer les naissances. Ils mettent en avant par exemple la politique de la «grand-mère au foyer» en incitant les femmes à partir plus tôt à la retraite (contrairement aux hommes) et s’occuper de leurs petits enfants.
La mesure-phare, censée relancer la natalité, est celle qui offre un abattement par enfant dans le calcul de l’impôt sur le revenu (basé sur l’assiette). L’abattement n’est important qu’à partir du 3ème enfant. De plus, le contribuable ne peut bénéficier de cet abattement qu'à partir d’un certain montant de revenus, beaucoup de familles sont donc exclues de ce dispositif. Par contre, il n’y a pas de plafond, même les revenus les plus importants peuvent profiter de cet avantage. Cette mesure est donc vouée à l’échec pour des raisons sociologiques, elle ne vaut que pour les classes moyennes supérieures.
L’impôt à taux unique a en outre des impacts indirects sur la vie des familles moyennes car il y a par conséquent moins d’argent dans les caisses de l’Etat pour financer les politiques sociale, de santé, d’éducation. Enfin, les allocations sociales et parentales ne sont pas revalorisées.
Un autre aspect qui influe sur la natalité est le manque chronique de places de crèches et aussi en maternelle. Le congé maternité a été fixé à 3 ans dans les années 1970, ce qui est un record européen. Peine perdue! Le LMP propose d’augmenter le nombre de places en crèches et en maternelles pour que les enfants puissent être accueillis dès la 2ème année et les femmes puissent retourner travailler. Prisonnier de son idéologie obsolète et de ses fantasmes, le gouvernement pénalise fiscalement les familles recomposées et tarde à recourir aux seules mesures susceptibles de relancer la natalité : le développement des structures d’accueil des enfants et le temps partiel des mères. Quant aux pères, dont je suis, ils n’y pensent même pas !
Gwenaëlle Thomas