L’économie hongroise pour les nuls
La Hongrie est, depuis le déclenchement de la crise économique à l’automne 2008, l’un des États membres de l’UE qui suscite le plus de réactions. Sauvée par le FMI et l’UE en octobre 2008, plongée dans la récession en 2009, retrouvant enfin mais timidement le chemin de la croissance en 2010, l’économie hongroise n’en reste pas moins la cible de critiques récurrentes émanant de toute part. Si le précédent gouvernement socialo-libéral avait la faveur des marchés, l’actuel, conservateur, en est loin. Le FMI prend ses distances, la Commission européenne s’inquiète, la banque centrale hongroise s’oppose, les agences de notation sanctionnent. Comment expliquer une telle avalanche de mécontentements exprimés contre le gouvernement?
C’est étonnant. Étonnant parce que M. Orbán, contrairement à ses promesses électorales, entend bien respecter l’accord scellé entre le FMI, l’UE et le gouvernement hongrois précédent prévoyant de ramener le déficit public à 3,8% en 2010 et 3% en 2011. Le budget 2011, voté il y a quelques jours, permettra selon les prévisions du gouvernement en matière de croissance d’atteindre cet objectif. Même si ce n’était pas le cas, le déficit public hongrois ne serait pas alarmant. Pourtant, le jour de l’adoption du budget 2011, l’agence de notation Fitch a abaissé d’un cran la note à long terme de la Hongrie, passant ainsi de «BBB» à «BBB-», en raison d’un risque de détérioration de la situation budgétaire du pays. L’agence justifie sa décision par les mesures prises par le gouvernement jugées non-conventionnelles. La taxation exceptionnelle sur le chiffre d’affaire de certaines grandes entreprises et celle, provisoire, sur l’actif net des banques ainsi que la main mise sur les actifs des fonds de pension sont visées. L’agence voit là des mesures populistes ne permettant de garantir une stabilisation du budget à long terme. De surcroît, Fitch doute des prévisions du gouvernement en matière de croissance, notamment les 5% prévus pour 2013 et menace le pays d’un nouveau déclassement. Début décembre, Moody’s, une autre agence de notation, avait également rétrogradé la note souveraine du pays mais aussi la note de banques privées «afin que les notes de dette et de dépôt des banques hongroises reflètent la dégradation de la dette souveraine de la Hongrie». Si le niveau de déficit n’est pas des plus inquiétants, la dette publique de 80% du PIB est quant à elle la plus élevée d’Europe centrale, ce qui est handicapant pour la Hongrie qui n’a pas la confiance des marchés et donc n’a pas le luxe de pouvoir laisser filer cette dette en empruntant à des taux bas comme la France et l’Allemagne par exemple.
D’autre part, le gouvernement est en conflit ouvert avec la banque centrale hongroise. La récente décision du gouverneur de faire passer le taux directeur de 5,5 à 5,75% pour «dissiper les tensions inflationnistes alimentées par les modifications fiscales» n’a fait qu’aggraver ce conflit. Le gouvernement serait quant lui favorable à des taux plus bas pour faciliter la relance. C’est en ce sens que le gouvernement a fait connaître sa volonté de porter un coup à l’indépendance de la banque centrale en s’octroyant le droit de nommer deux des quatre membres extérieurs du Conseil monétaire chargé de fixer les taux. Le taux d’inflation sur l’année 2010 a été de 4,9% ne changeant donc quasiment pas par rapport aux années précédentes bien qu’on constate des écarts importants et atypiques lorsqu’on décompose ce chiffre. Plus 5,9% pour le prix des biens d’alimentation, 32,7% pour les produits saisonniers, 7,9% pour l’énergie, 19% pour le gaz naturel.
En ce qui concerne le taux de croissance du PIB, il est de 1,7% en 2010. Plus précisément, il est de moins 15,2% dans le secteur primaire, 10,8% dans le secondaire et 0,4% dans le tertiaire. Le taux de croissance de la consommation a quant lui été de 1,2%. Si la croissance revient faiblement, le taux de chômage culmine toujours aux alentours de 11% et même 27% chez les 15-24 ans. Plus de la moitié des chômeurs le sont depuis plus d’un an et la durée moyenne sans emploi est d’environ 18 mois alors qu’en 2009 cette durée était de 16 mois. Ces chiffres intéressent moins puisqu’ils ne sont pas les critères utilisés par les frondeurs que sont le marché, le FMI, l’UE et autres agences de notation pour juger d’une politique économique. Un de ces critères est le niveau de dépenses publiques, qui ne doit pas être trop élevé pour, pensent-ils, ne pas pénaliser la reprise économique. En matière de réduction des dépenses, le gouvernement sait y faire. 25.000 à 30.000 suppressions de postes sont prévues dans la fonction publique, des baisses drastiques de coût de fonctionnement sont prévues dans les administrations. Le gouvernement entend bien économiser jusqu’à 800 milliards de HUF (2,88 milliards d’euros) par an. Cette politique est paradoxalement peu critiquée. On l’aura compris, c’est donc essentiellement la politique du gouvernement en matière de recettes qui est pointée du doigt. Toutefois, le passage à un impôt sur le revenu à taux unique (16%) marque un tournant néolibéral en Hongrie que très peu s’efforce à souligner, pour le plus grand plaisir des frondeurs.
Yann Caspar