L’eau de la Raab : source de vie, source de conflits
Une pollution de composants chimiques de nature indéterminée, provenant probablement d’une activité industrielle autrichienne, empoisonne la rivière transfrontalière, la Raab (Rába en hongrois), et la vie quotidienne des riverains hongrois. L’Autriche et la Hongrie « les amies de toujours » sont, cette fois, en profond désaccord à propos de l’origine de cette pollution. Selon les autorités hongroises, leurs collègues autrichiens n’auraient pas pris les mesures nécessaires pour limiter cette pollution.
Ce triste feuilleton a commencé en 2001, quand la première vague de la pollution en forme d’étrange « montagne mousseuse brunâtre » apparaît en Hongrie occidentale. Le maire de Szentgotthárd exige alors une enquête pour déterminer la nature et l’origine de cette pollution et les risques qu’elle pourrait représenter pour l’environnement. Les recherches prouvent alors que la Raab a été polluée par des usines de cuir autrichiennes. Il faut savoir que la tannerie constitue la première opération dans le traitement du cuir. La transformation de la peau brute en cuir fin demande beaucoup de sel et l’utilisation de chrome. Les tanneries ont un impact particulièrement sévère sur la qualité de l’eau si leurs rejets sont envoyés à la rivière sans traitements adéquats. La première pollueuse, l’usine de Jennesdorf, promet de faire le nécessaire. La situation ne s’améliore pas, bien au contraire elle empire. En février 2004, la pollution s’accentue à tel point que les autorités hongroises donnent l’alerte. L’Autriche promet à nouveau de trouver une solution à ce problème « hongrois ». En 2006, la Raab est déjà polluée en Autriche, à la hauteur de Feldbach qui se trouve en Styrie. Etrangement, un peu plus loin au bord de la rivière, à Wollsdorf, se trouve une grande usine de cuir. Jusqu’ici, l’Autriche avait toujours déclaré que sur son territoire il n’y avait pas de pollution de l’eau. Entre temps les organisations civiles hongroises constatent que la flore et la vie aquatique connaissent de sévères perturbations.
Certaines espèces de poissons ont du mal à se reproduire, d’autres ont déjà complètement disparu de la rivière, au plus grand regret des pêcheurs. Des activités liées au tourisme et à la pêche sont quasi inexistantes depuis la pollution de la Raab.
D’après le porte-parole hongrois de Greenpeace, les usines de cuir autrichiennes déversent quotidiennement sept fois plus de sel dans la Raab que la norme européenne le permet. « La Raab est presque aussi salée maintenant que la mer ».
Une autre association civile hongroise « Pro Natura » demande aux Hongrois de boycotter tous les produits autrichiens et surtout la bière; «dont la mousse ressemble étrangement aux écumes de la rivière Raab». Le maire de Szentgotthard a remplacé le drapeau tricolore du Monument de l’amitié des peuples par un drapeau noir en signe de protestation. «Il faut défendre le point de vue de ceux qui vivent de la rivière et ces gens-là se trouvent côté hongrois», a-t-il déclaré.
Les autorités compétentes de Styrie, de Burgenland et de Hongrie se renvoient la balle pour gérer le problème, mais la situation ne change guère. Cependant, un rapport de l’Université de Vienne démontre clairement que la pollution de la Raab a été causée par les usines de cuir autrichiennes.
La discorde s’accentue en mai 2007, quand le président hongrois, László Sólyom, accuse l’Autriche de faire preuve de «cynisme» et demande la révocation de la licence de l’usine Boxmark à Jennesdorf qui est, selon lui, à l’origine de la contamination. Alors que l’Autriche refuse d’accéder à cette demande, les deux gouvernements ont néanmoins réussi à trouver un accord, en été 2007, selon lequel l’Autriche devait faire cesser la pollution excessive de cette usine et devait signaler à la Hongrie toute faille qui pourrait survenir.
En janvier 2008, nouveau rebondissement dans l’histoire de la Raab. La pollution recommence, mais d’une manière jusqu’alors jamais vue: la dégradation de la qualité de l’eau est vraiment inquiétante. Des échantillons récents provenant de la rivière montrent que les quantités chimiques servant au tannage du cuir, qui recouvrent l’eau d’une couche d’écume blanchâtre, ont été multipliées par trois par rapport aux quantités enregistrées il y a cinq ans.
Le ministre de l’environnement, Gábor Fodor (SZDSZ), a déclaré pendant sa visite à Szentgotthárd qu’il négocierait avec son homologue autrichien pour que les trois usines de cuir (Wollsdorf, Feldbach, Jennesdorf) réduisent significativement leur pollution.
Cependant, l’Autriche affirme que les installations de nettoyage de l’eau des usines de cuir sont en bon état de fonctionnement et que la qualité de l’eau de la rivière est en règle avec les obligations fixées par la directive de l’Union européenne.
Une réunion bilatérale du comité de l’environnement devait se tenir le 20 février (à l’heure où nous imprimons ce journal, les conclusions de cette réunion nous sont inconnues).
Faut-il attendre une grande catastrophe écologique pour que les deux Etats trouvent enfin une solution qui satisfasse tout le monde ? Une chose est sûre, pour que la rivière puisse retrouver sa « bonne santé » d’antan, un travail coordonné de l’ensemble des parties concernées est nécessaire, ainsi que de conséquents moyens financiers.
Ditta Kausay