“Le vin des rois, le roi des vins” serait-il slovaque?

“Le vin des rois, le roi des vins” serait-il slovaque?

 
Débats autour du Tokaj

Image retirée.

Quand Louis XIV déclara à la fin du 17e siècle que le Tokaj était «le vin des rois et le roi des vins», personne n’aurait pensé que deux pays, la Hongrie et la Slovaquie, se battraient pour pouvoir utiliser ce nom.

Le traité de Trianon -le début des débats

Saviez-vous que cette région était la première appellation contrôlée au monde ? Et c’est ici que l’on a utilisé en premier la classification des parcelles. Mátyás Bél a classé en trois catégories les vignobles, selon leur qualité.

La région vinicole de Tokaj-Hegyalja se trouve au nord-est de la Hongrie et touche la Slovaquie et l’Ukraine. C’est un territoire clos. Vingt-huit agglomérations ont droit à l’appellation «Tokaji» pour leur vin. Les agglomérations les plus importantes sont Mád, Tokaj et Tarcal, ainsi que les centres culturels et politiques de la région, Sátoraljaújhely et Sárospatak.

Après la Première Guerre mondiale, la Hongrie a perdu 2/3 de son territoire, dont la Transylvanie. Le Tokaj a ainsi perdu une part importante de son marché intérieur. Les débats autour de la dénomination «Tokaji» ont commencé quand le Traité de Trianon a détaché deux villages - Kistornya et Szôlôske- du vignoble de Tokaj au bénéfice de la Slovaquie. Le problème est que les Slovaques ont commencé à vinifier du Tokaj sur des parcelles n’ayant jamais fait partie du vignoble historique. Voici les racines de la controverse. Selon une ancienne loi slovaque (1959), sept communes faisaient partie de l’appellation «Tokaji» sur 698 hectares, alors que les Hongrois n’en reconnaissaient que trois après la loi de 1908 (Újhely, Kistoronya et Szôlôske, 178 hectares de vignoble). Ces trois villages ont, dans un premier temps, été reconnus comme agglomérations ayant droit à l’appellation de Tokaj par les Hongrois. De plus, la plupart des producteurs de ces communes sont des Hongrois, qui ont pu exporter leurs vins sans problème en Hongrie. Alors que les Hongrois avaient tendance à diminuer la surface de la région de Tokaj (pour améliorer la qualité du vin), les Slovaques ont tout fait pour étendre les vignobles.

L’affaire recommença en 1964 lorsque le ministère des affaires étrangères slovaque décida d’exporter une petite quantité de Tokaj slovaque à l’étranger, notamment pour une société autrichienne. Le but de cette exportation était la revente de leur surproduction.

La société autrichienne commença à commercialiser ce Tokaj slovaque sous le nomde Mária Terézia Tokajer Szamorodni. Bien sûr, les Hongrois, qui avaient le droit exclusif d’exporter ce vin avec l’appellation «Tokaji» ont tout fait pour empêcher l’exportation du Tokaj slovaque.

Des négociations ont commencé entre les deux États en 1965. Les parties concernées étaient les deux sociétés d’export (Koospol-slovaque et Monimpex-hongrois) puis la brasserie Plzen. Pourquoi cette dernière ? Car une bière hongroise (Radeberger) était commercialisée à l’époque sous le nom Pilsner, et bien sûr, les Slovaques ne voulaient pas que les Hongrois utilisent ce nom. Selon l’accord signé par les deux États en 1967, les Hongrois n’avaient plus le droit d’utiliser le nom Pilsner, en échange, les Slovaques se sont engagés à ne plus commercialiser le Tokaj qu’en Hongrie et dans une quantité de mille hectolitres par an.

Jusqu’en 1989 la Tchécoslovaquie a ainsi revendu en Hongrie 21,5 hectolitres de Tokaj, commercialisé sous l’appellation de Tokaj hongrois.

Tokaj: une marque déposée depuis 1970

La marque Tokaj a été déposée par les Hongrois en 1970. La Hongrie se manifeste sur le marché international comme le seul pays ayant droit de commercialiser le Tokaj. Au début des années 90, la Hongrie insiste toujours pour que les Slovaques ne puissent pas commercialiser leurs vins sous le nom Tokaj, Tokajsky Vyber ou Tokajer Samorodner et même de ne pas indiquer sur les étiquettes le nom de Tokaj. Cette initiative a été confirmée par le décret entre la Hongrie et l’UE, signé en 2003, et qui stipule qu’uniquement les producteurs hongrois peuvent commercialiser le Tokaj sur le marché de l’UE. Alors que la Slovaquie ne comptait pas comme une vraie concurrence pour la Hongrie avec sa petite production annuelle (20.000 hectolitres), la qualité bien moyenne de leurs vins aurait pu détruire l’image du Tokaj. Car les Slovaques ne disposaient alors d’aucune loi qui aurait pu stipuler la surface et l’éventuelle étendue des vignobles, le contrôle indépendant des vins ou la production traditionnelle. Le fait que la Slovaquie produisait aussi des Aszú de 2 puttonyos (hottes), alors qu’en Hongrie on ne vinifiait que les Aszú de 3-4-5-6 puttonyos (selon la réglementation), ne facilitait pas les choses...En plus, l’Aszú 2 puttonyos élaboré par les Slovaques correspondait à un Tokaji Szamorodni. Bref, le chaos total !

La solution

Après presque 40 ans de discussions, un accord a été enfin signé en 2004. Celui-ci déclare par exemple qu’un tokaji szamorodni peut être commercialisé sur le nom de tokajské samorodné si ce dernier a été vinifié en respectant la technologie utilisée par les Hongrois, puis les plus importants paramètres des vins doivent être aussi conformes (degré d’alcool, acidité volatile, etc.) et la Slovaquie s’est désormais engagée à appliquer la loi hongroise sur les vins et la vinification. L’avenir nous dira si les Slovaques respecteront leur engagement.

Katalin Ujbányai

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