Le réveil des consciences
Un million pour une démocratie
Le printemps arabe nous a fait prendre conscience de l’impact puissant que peuvent avoir les mouvements civils nés de réseaux sociaux (Facebook, twitter...) sur la vie d’un pays. Ce nouveau moyen de communication et d’action se répand. On le retrouve actuellement en Hongrie, en contestation aux mesures du gouvernement Fidesz. János Boris, écrivain, traducteur et éditeur de profession, est un des membres fondateurs et le porte-parole d’EMD, «Un million pour la démocratie - mouvement de contrôle civil». Il répond aux questions du JFB.
JFB: Comment est né EMD ? Par le biais des réseaux sociaux ?
János Boris : EMD a vu le jour en réaction aux réformes engagées par le gouvernement Orbán: réforme de la constitution hongroise, loi contre la liberté de la presse. EMD évolue aurjourd’hui indépendamment d’EMS, «un million pour la liberté de la presse», qui fut l’organisation mère. Mais nous continuons à travailler avec cette organisation en tant qu’entité autonome. EMD a été créé par les insatisfaits d’EMS, ceux qui souhaitaient une organisation permanente et active, qui puissent mobiliser au-delà des manifestations occasionnelles. Fin septembre, début octobre 2011, nous avons participé aux 4 jours d’action solidaire contre le gouvernement, les «D-Day». Facebook fut évidemment un outil efficace pour organiser nos actions et nous continuons à communiquer via ce réseau. Toutefois, beaucoup de sympathisants sur facebook ne franchissent pas le pas du militantisme de terrain.
JFB : Combien de sympathisants compte EMD ? Que représente le «un million» d’EMD ?
J.B. : Un million, c’est le chiffre que nous souhaitons atteindre à terme mais nous avons commencé plus modestement. Notre mouvement réunit aujourd’hui sur le net environ 92000 sympathisants. Mais le nombre d’activistes, comme je le soulignais précédemment, est bien inférieur, il se situe autour de 3000 personnes actuellement. Notre souhait serait de compter dans nos rangs environ 50 000 activistes.
JFB : Comment s’organise aujourd’hui votre mouvement ?
J.B. : Nous avons réalisé rapidement que l’organisation de manifestations ne suffisait pas à «changer la face du monde» et surtout pas la politique menée par le gouvernement Fidesz. C’est pourquoi après les manifestations réussies du printemps dernier, nous avons dû nous rendre à l’évidence qu’il devenait indispensable de s’organiser, en s’enregistrant, avec des statuts, un compte bancaire. Il est important de souligner par ailleurs qu’avec plusieurs syndicats, lors des «D-Day», nous avons décidé de la création du «Mouvement Solidarité hongrois», avec pour objectif de toucher encore plus les masses populaires et de réveiller les consciences à la politique. Nous dépensons à ce jour la majeure partie de notre énergie à l’organisation de Solidarité.
JFB : La presse vous soutient-elle ?
J.B. : Nous avons le soutien des média d’opposition, mais pour le reste que ce soit côté télévision ou presse, les informations subissent le contrôle gouvernemental. De manière générale, l’espace de liberté des media se resserre.
JFB : Vous êtes indépendants d’un point du vue politique ?
J.B. : Nous restons en effet à l’écart des partis politiques, même de gauche qui, selon nous, ne présentent aujourd’hui aucune alternative crédible. Ils sont en effet de plus en plus divisés. Il suffit à ce titre de voir les nouveaux partis qui viennent d’émerger : la Coalition Démocratique (DK) de Ferenc Gyurcsány et le 4K, force républicaine, issu du mouvement «un million pour la liberté de la presse». Bien que nous venions des mêmes réseaux, EMD n’a ni l’ambition, ni la volonté de créer un parti politique. Son rôle est d’être actif auprès des décideurs politiques pour les faire évoluer dans leur pratique du pouvoir qui nous semble incorrecte.
JFB : Justement que reprochez-vous au gouvernement en place ?
J.B. : Le Fidesz détient les 2/3 des sièges au Parlement et estime aujourd’hui qu’il peut adopter n’importe quelle mesure sans dialogue social préalable. La politique adoptée par le gouvernement, notamment sur le plan économique, va à l’encontre des plus pauvres, mais aussi des classes moyennes. Les citoyens hongrois sont de plus en plus déçus et convaincus que la politique du gouvernement va dans le mauvais sens (autour de 60%). Or, le gouvernement s’obstine à ne pas reconnaître ses échecs et continue «tête baissée» à prendre des mesures inadéquates, sans aucune logique les unes avec les autres. Sa politique en matière d’emploi ou d’éducation, sa réforme du code du travail sont là pour en témoigner. Orbán, qui est par ailleurs un passionné de football, cherche aujourd’hui à mettre des buts, mais sans étudier d’abord la stratégie qu’il doit mettre en oeuvre pour y arriver. A mon sens, il est en train de perdre sa crédibilité, tout comme Berlusconi en Italie. Le système Berlusconien s'écroule en effet en raison de la crise économique. Il est donc temps pour les Hongrois de s'alarmer et de réagir avant d'en arriver là.
JFB : Le gouvernement vous a-t-il déjà invité à discuter ?
J.B. : Non. Je pense qu’Orbán a peur de perdre la face en acceptant de dialoguer avec le mouvement contestataire que nous sommes. La seule organisation qu’il a acceptée de recevoir est celle des familles nombreuses, pas forcément la plus représentative de notre société...
JFB : quelles sont vos craintes et vos souhaits pour l’avenir ?
J.B. : Nous craignons que dans ce contexte très fragile de crise économique, que le gouvernement tend à accentuer, les discours nationalistes, populistes et anti-européens faits de messages simplistes se développent. On peut déjà malheureusement le constaster. Notre souhait est de réveiller les consciences afin de parvenir à une société dans lequelle les citoyens sont actifs, solidaires et montrent un sens aigu de la responsabilité civique. Ils doivent constituer une force qui puisse être écoutée par le pouvoir en place et capable surtout de soumettre à ce dernier des propositions alternatives pour gouverner.
JFB : Comment souhaitez-vous dès lors procéder pour être entendus par le gouvernement ?
J.B. : Notre mode de fonctionnement se perfectionne progressivement. D’une part, nous organisons chaque semaine des assemblées générales auxquelles participent des experts. Le but est de préparer des propositions crédibles sur les différentes thématiques (emploi, éducation, santé,...). Notre stratégie consiste d’autre part à nous décentraliser et développer nos contacts en province pour que notre force d’action se multiplie. Nous créons également une fondation aux Etats-Unis afin de recueillir les soutiens financiers pour Solidarité. Cela permettra aux hongrois qui craignent de soutenir officiellement un tel mouvement par crainte des représailles politiques, de continuer à se mobiliser malgré tout.
JFB : Quelle pourrait être, selon vous, l’action ultime d’un mouvement comme EMD ?
J.B. : Notre souhait n’est pas de parvenir à une révolution. Les magyars ont déjà connu les conséquences malheureuses de la révolution de 1956. Mais si cela devient nécessaire, nous pourrions encourager la création d’un nouveau parti, avec de nouveaux visages, capable de constituer une réelle alternative au gouvernement actuel. Tout dépendra de la capacité du gouvernement à nous écouter.
Gwenaëlle Thomas
Pour plus d’informations sur ce mouvement, veuillez consulter : facebook.com/demokraciaert ou demokraciaert.blog.hu
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