Le nucléaire a le vent en poupe

Le nucléaire a le vent en poupe

Entretien exclusif avec Gérard Cognet, Délégué du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) pour l’Europe centrale.

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JFB : Face aux changements climatiques et à la nécessité de réduire les émissions de CO2, le nucléaire est présenté ces dernières semaines par de très nombreux dirigeants du monde entier (Etats-Unis, Canada, Allemagne, France, Bulgarie, Libye…) comme une énergie «propre» appelée à se développer à l’échelle internationale. Assistons-nous à une nouvelle mode pro-nucléaire ou s’agit-il d’une véritable reconnaissance de l’atome comme moyen privilégié de lutte contre le réchauffement climatique ?

Gérard Cognet : Je ne pense pas que l’on puisse parler de mode, mais d’une prise de conscience due à la conjoncture. Le nucléaire sort d’une période morose de 20 ans, le prix du pétrole ayant été excessivement bas. Le prix du pétrole est aujourd’hui au niveau où il était au début des années 80. Ce prix très élevé, et plus généralement l’envol du prix des hydrocarbures, ainsi que la prise de conscience récente de l’effet du CO2 sur l’environnement, sont certainement les raisons principales qui poussent un certain nombre de pays à se lancer, ou se relancer, dans l’utilisation de l’énergie nucléaire. Le nucléaire est intéressant selon trois points de vue : la grande concentration d’énergie, 1Kg d’uranium produit autant d’énergie que 12,5 tonnes de charbon, le coût du combustible et le fait qu’il n’est pratiquement pas émetteur de CO2, il en produit même moins que les éoliennes fabriquées en matériaux composites à base de carbone… Sur ce point, le nucléaire est donc certainement un atout pour l’environnement.

Si les avantages que représentent la concentration d’énergie et la très faible émission de CO2 sont évidents dès que l’on regarde les deux valeurs correspondantes, l’avantage que représente le coût du combustible est un peu plus complexe à percevoir. En fait, ce qui est important pour le consommateur c’est le prix final auquel il devra payer le kWh. Pour une centrale thermique utilisant un combustible fossile (charbon, pétrole ou gaz), le coût du combustible représente entre la moitié et les 3/4 du prix final du kWh alors que pour le nucléaire, il ne représente que 15%. La conséquence pour le consommateur est donc une grande stabilité du prix du kWh. Ceci est renforcé par un approvisionnement plus sûr résultant d’une répartition relativement large de l’uranium sur la surface de la Terre (on en trouve d’ailleurs en France, en Slovaquie, en Hongrie, en Bulgarie et en Roumanie…), les plus importantes réserves étant en Australie, au Canada et en Russie.

JFB : Pourtant, selon ses détracteurs, il est vain d’attendre un effet significatif du nucléaire qui ne représente que 6.4% de l’approvisionnement énergétique mondial et ne devrait atteindre au mieux que 6.9% en 2030 (sources : GIEC). Ne serait-il pas plus judicieux d’utiliser les crédits de recherche destinés au nucléaire pour le développement d’énergies renouvelables ?

Gérard Cognet : L’énergie nucléaire est très peu productrice de gaz à effet de serre. Même si c’est peu, tout ce qu’on peut faire pour limiter la production de CO2 est toujours bénéfique. Si le chiffre de 6.4% traduit la réalité actuelle, les projections sur 20 ans s’appuient sur des hypothèses et des extrapolations que le futur peut contredire. Toutefois, il est vrai qu’étant donné qu’il faut 10 ans pour construire une centrale, les effets devraient plutôt s’envisager à 50 ans. D’autre part, il faut être bien conscient que si le nucléaire peut se substituer au thermique classique pour produire de l’électricité, la plupart des moyens de transports, et en particulier l’automobile, seront toujours propulsés dans les 20 prochaines années par du pétrole. Pour modifier significativement la production de CO2 dans ce secteur, il faudrait encourager le développement du transport ferroviaire, mais cette question ne relève ni de la technologie ni de la recherche.

Concernant les crédits de recherche alloués au nucléaire, ils sont, à juste titre, importants et les efforts doivent être poursuivis dans ce sens pour améliorer le traitement des déchets à long terme et la sécurité. Sur ces deux points, la recherche à déjà beaucoup apporté dans le passé. Bien que le risque zéro n’existe pas, il faut s’approcher au mieux de cet idéal et aujourd’hui, sur les centrales de 3ème génération type EPR (actuellement en construction en France et en Finlande), le risque d’accident nucléaire est 10 fois plus faible que pour les centrales de la génération précédente qui présentent elles-mêmes un niveau de risque nettement plus faible que d’autres secteurs industriels ou les transports. De même, aujourd’hui, la recherche, et en particulier la recherche française menée par le CEA, a montré qu’on avait des solutions pour la gestion des déchets nucléaires qui permettraient de ramener leur durée de vie, donc de gestion, de plusieurs milliers d’années à 300 ans, soit disons l’âge du château de Versailles qui est plutôt bien conservé. Toutefois, il reste encore du travail à faire pour passer de l’échelle du laboratoire à l’échelle industrielle et c’est pourquoi il faut maintenir un niveau suffisant de crédits de recherche.

Bien entendu, on pourrait mettre plus de moyens dans les énergies renouvelables, c’est d’ailleurs ce que fait le CEA en travaillant sur certaines techniques, a priori, prometteuses, telles que le solaire photovoltaïque ou la biomasse de seconde génération. Cependant, il faut bien dire que la plupart des énergies renouvelables ont des rendements relativement faibles. Ainsi, le parc éolien de l’Allemagne représentait en 2004 40% du parc mondial éolien, mais ne fournissait que 3% de l’électricité du pays...Par ailleurs, je ne suis pas sûr que l’augmentation des moyens contribuerait réellement à une progression beaucoup plus rapide de la recherche ; ce que l’on appelle dans notre jargon des « verrous technologiques » empêchent de progresser dans certains domaines, et c’est plus du « génie » qui permettra de les faire sauter que des moyens.

JFB : Prochainement, la Bulgarie va se doter d’une centrale nucléaire. Assiste-t-on également en Europe centrale a un regain d’intérêt pour cette énergie ? Et la Hongrie a-t-elle des projets dans ce domaine ?

Gérard Cognet : Oui et non car il n’y a jamais eu de perte d’intérêt pour l’énergie nucléaire en Europe centrale ou orientale. Tous ces pays sont dotés de centrales nucléaires. Certains d’entre eux ont une production d’électricité d’origine nucléaire à des taux très importants (la Slovaquie à 56%, la Bulgarie à 42%). Malgré tout, ce sont des pays qui ont souvent arrêté la construction de centrales au début des années 90 faute de disponibilités financières suffisantes et parce que le partenaire russe n’était plus présent. Récemment, la situation a changé, des moyens financiers ont été retrouvés (investisseurs et subventions) et la Russie est de nouveau intéressée par l’achèvement de ces centrales. Bien entendu ces pays doivent prendre en compte la composante européenne. Ainsi, l’une des conditions de l’entrée dans l’Union européenne a été pour certains pays de fermer les centrales jugées peu sûres (2 en Bulgarie et 2 en Slovaquie) et ceci malgré une opposition très forte des populations. L’Europe impose également la prise en compte des critères actuels de sécurité. Pour les nouvelles constructions de réacteurs, c’est par exemple le cas pour le futur réacteur bulgare de Belene.

La Hongrie, quant à elle, mène actuellement une réflexion sur la construction d’une nouvelle centrale en plus de celle de Paks dont les réacteurs ont vu leur puissance augmenter récemment. Le problème est politique et financier, les Hongrois étant parfaitement compétents pour gérer un tel projet.

JFB : Pour terminer, que pourrait-on vous souhaiter pour cette nouvelle année ?

Gérard Cognet : Beaucoup de travail, mais je n’en manque pas ! Le Président Sarkozy a fait des propositions de partenariat aux pays d’Europe centrale, notamment lors de sa venue à Budapest. Dans tous ces projets figure un volet énergie. Ce que l’on peut souhaiter à la France c’est de développer des partenariats privilégiés dans le domaine de la recherche pour les énergies du futur, le nucléaire bien sûr, mais aussi les énergies renouvelables telles que la biomasse et le solaire, qui demain contribueront avec le nucléaire à ce qu’on appelle déjà le « mix énergétique ».

 

Propos recueillis par

Frédéric Humbert

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