Le nouvel ambassadeur
La France a nommé un nouvel ambassadeur en Hongrie : M. René Roudaut est revenu pour le JFB sur ses précédentes missions et son parcours de diplomate. Portrait.
JFB: Connaissiez-vous déjà Budapest ? Est-ce un choix de votre part que d’être en poste en Europe centrale ?
M. René Roudaut: C’est un choix, tout à fait, à la fois celui de mes autorités et le mien. Je souhaitais renouer avec mes premières amours qui, au Quai d’Orsay, ont été l’Europe. Ma première affectation au début des années quatre-vingt a été Moscou, capitale de ce qui était à l’époque l’Union soviétique, puis Bonn, en République Fédérale d’Allemagne, puis le Centre d’analyse et de prévision où je traitais l’Europe centrale et orientale. J’ai également été sous-directeur Europe en charge de l’Union soviétique – le dernier à porter ce titre… – entre 1990 et 1992. Mes affectations à partir de 1994 ont été plus orientées vers les problèmes de coopération et de développement. C’est pourquoi je suis tout à fait heureux de revenir à la problématique de l’Europe en construction.
JFB: Pourriez-vous revenir pour nous sur cette expérience moscovite, entre 1979 et 1982 ?
R.R.: C’était mon premier poste à la sortie de l’Ecole nationale d’administration – nul n’est parfait !–. Vous savez, on garde une tendresse particulière pour sa première affectation, et dans mon cas s’ajoute une dimension personnelle, car j’y ai rencontré ma femme. C’était à la fin des années Brejnev, une époque d’absence totale de liberté en Union soviétique; les années du communisme dur, très difficile à vivre au quotidien, mais en même temps un défi professionnel et personnel très gratifiant. On ne voit plus le monde, on ne pense plus le concept de liberté de la même manière quand on a fait ses premières armes en Union soviétique. Ce qui s’est passé ensuite, l’effondrement du totalitarisme est une sorte de miracle, même si le chemin est encore long vers une démocratie apaisée.
JFB: Vous avez également été directeur du développement de Canal +. En quoi cela consistait-il et pourquoi ce choix ?
R.R.: C’était entre 1988 et 1990, après avoir travaillé au cabinet d’Alain Madelin, ministre de l’industrie. Je ne pensais absolument pas chercher quelque chose en dehors du Quai d’Orsay quand j’ai été contacté par un cabinet de recrutement qui m’a proposé de m’occuper du développement international de Canal +. J’ai finalement accepté et j’ai travaillé pendant trois ans à la création des premières filiales internationales: Belgique, Allemagne, Afrique et Espagne. A l’issue de la période dite de disponibilité la direction du personnel m’a proposé de revenir au Quai comme sous-directeur en charge de l’Union soviétique, au moment de la chute du mur de Berlin et des extraordinaires bouleversements que connaissait l’Europe centrale et orientale. J’ai peu hésité, j’ai repris du service au Quai d’Orsay.
JFB: Comment pourriez-vous définir votre vocation de diplomate ?
R.R.: L’intérêt pour les affaires internationales, le regard toujours décalé et le recul que l’on peut avoir lorsque l’on sort de son propre environnement intellectuel, culturel, linguistique, mental, c’est ce qui m’a toujours plu. Alors pourquoi le Quai d’Orsay alors que peu de choses semblaient devoir m’orienter vers les Affaires étrangères ?
La Bretagne, sa langue si singulière, et l’appel du large y ont certainement beaucoup contribué. J’ai aussi souvenir que mes maîtres du collège Saint François de Lesneven où j’étais interne dans le Finistère nord, nous ont donné cette ouverture sur le vaste monde. Sur la grand place de Lesneven, la statue du général Le Flo qui avait combattu durant la guerre de Crimée et avait été ambassadeur à Saint-Pétersbourg m’a beaucoup intrigué. Je ne sais pas pourquoi, mais l’ambassadeur à Saint-Pétersbourg représentait pour moi la quintessence de l’exotisme et de la découverte du monde à laquelle j’aspirais. Il se trouve qu’à la sortie de l’ENA j’ai choisi le Quai d’Orsay et que mon premier poste a été Moscou.
JFB: Vous avez ensuite travaillé à Rabat, puis en Ouganda, puis à Paris depuis 2001.
R.R.: J’ai été, en effet, conseiller culturel et de coopération à Rabat, où nous avons un dispositif culturel et de coopération tout à fait exceptionnel. Cela a été pour moi une expérience très riche, ma première expérience dans un pays de culture islamique. Dans les bons souvenirs de cette période je mentionnerai la création d’un réseau de cinq établissements scolaires entièrement autofinancés pour faire face à une très forte demande de scolarisation de la part des familles marocaines. Des établissements qui fonctionnent d’ailleurs toujours actuellement. Cela a été un poste extrêmement créatif.
L’Ouganda a été mon premier poste d’ambassadeur, entre 1998 et 2001, un pays à la charnière de l’Afrique francophone, de l’Afrique anglophone et du monde arabe. Dans les dossiers politiques que j’ai eu à traiter je mentionnerai le Rwanda, qui venait de connaître l’atroce génocide que vous savez, et le début de la guerre du Congo-Kinshasa. Je suis rentré à Paris en 2001 pour occuper le poste de Conseiller pour les affaires religieuses, une des affectations les plus passionnantes que j’ai eues, traitant de sujets aussi variés que la mise en place du Conseil français du culte musulman, la mention des racines chrétiennes dans le projet de traité constitutionnel européen, le débat sur la laïcité et le port des signes religieux à l’école et, bien sûr, la réflexion sur les fondamentalismes religieux et leur rôle dans les relations internationales. J’ai ensuite dirigé deux cabinets ministériels, celui du Secrétaire d’Etat aux AE et celui de la Ministre de la coopération et du développement.
JFB: Quels sont désormais les principaux projets qui vous attendent à Budapest ?
R.R.: La feuille de route a été tracée par la visite présidentielle. C’est une occasion exceptionnelle que de commencer avec ce momentum et nous avons, avec nos partenaires hongrois, l’ardente obligation de réussir dans les domaines qui ont été identifiés. Le premier grand domaine c’est bien sûr l’accompagnement des efforts de la Hongrie pour mettre en oeuvre toutes les mesures transitoires et les investissements structurels pour lesquels nous pouvons apporter une contribution en termes de coopération technique. Nous allons avoir la présidence de l’Union européenne l’année prochaine et les Hongrois en 2011. Le second volet c’est la présence française en Hongrie, à commencer bien sûr par la présence économique et commerciale: investissements directs, présence de nos entreprises, appels d’offre, infrastructures. Notre part de marché est actuellement de l’ordre de 5%, et nous pensons tous qu’elle pourrait être bien plus importante. Là, bien évidemment, ce sont les entreprises privées qui sont le moteur de cette présence, mais l’ambassade, par sa mission économique et commerciale, mais aussi par le service culturel et de coopération, peut accompagner le mouvement. Nous avions par exemple hier à l’Institut Français un séminaire relatif aux questions liées au traitement de l’eau, avec une vingtaine d’entreprises françaises qui rencontraient leurs homologues et partenaires hongrois. C’est un gain de temps absolument considérable pour ces entreprises, petites ou moyennes, et des manifestations de ce type mettent en évidence la valeur ajoutée de l’ambassade et de ses services. Dernier volet de notre action, et non le moindre, c’est la présence culturelle, intellectuelle et linguistique dans tous les domaines où nous déclinons notre coopération : universités, coopération décentralisée, action culturelle et artistique, formation des cadres, bourse etc…
JFB: Lors de sa visite, Nicolas Sarkozy a souligné qu’il n’y avait pas de petits et de grands pays en Europe, mais des nations européennes au même titre les unes que les autres. La voix de la Hongrie semble pourtant moins entendue que celle d’autres pays. La présidence hongroise à l’Union européenne va-t-elle, selon vous, changer cette donne ?
R.R.: Je pense qu’il n’y a pas à attendre 2011, la Hongrie fait déjà entendre sa voix. Elle est membre de plein droit de l’Union européenne depuis mai 2004. C’est vrai que son expérience est moins longue que celle des signataires du Traité de Rome, mais la Hongrie a un rôle essentiel à jouer en Europe centrale et dans les relations de l’Europe avec la Russie et les Balkans. La remarque du Président de la République a rappelé qu’il n’y avait pas de directoire des grands pays au sein de l’UE, et qu’il fallait prendre en compte toutes les approches pour construire l’Europe.
Propos recueillis par Frédérique Lemerre
(Photo: Clément Saccomani - UHT-Pictures)