Le Jobbik, pas seulement un parti

Est-il encore nécessaire de présenter le Jobbik? Ce parti radical d'extrême droite, entré au Parlement lors des dernières élections législatives en avril dernier, souhaite notamment faire renaître auprès du peuple hongrois le sentiment de la Grande Hongrie historique et inciter la population à se révolter contre les injustices du traité de Trianon. Ce parti dispose en outre d'une base de sympathisants considérable, ce qui se traduit dans des enseignes qui portent haut les valeurs du parti.

Le phénomène "Jobbik", qui n’est pas toujours étroitement lié à l'actualité du parti en question, a débuté bien avant les élections du printemps dernier. De manière très organisée ou parfois plus improvisée, une large variété de services - influencées par l’idéologie du Jobbik – ont été créée avant et à la suite du succès électoral du parti. Parmi les activités en questions figurent des réseaux alimentaires, des boutiques de vêtements, d’uniformes et de costumes, mais aussi une compagnie de taxi.

En novembre 2009, un réseau de boutiques alimentaires "nationales" a vu le jour sous le nom de Koppány Nemzeti Boltok (Boutiques Nationales Koppány), qui porte ainsi le nom d'un héros de l'histoire hongroise ayant vécu à l’époque du roi Saint-Stéphane. Cette enseigne vend des produits faits exclusivement à base de viande hongroise (bovins, buffles, etc.). Le propriétaire, Zoltán Megyesi, est très fier que ses produits ne soient pas commercialisés dans des réseaux multinationaux mais uniquement dans son réseau de quelques boutiques implanté essentiellement à Budapest et dans ses environs. Le Jobbik avait d'ailleurs promis dans son programme de campagne électorale qu'en cas de victoire il aurait rendu difficile l'établissement de nouvelles enseignes multinationales et aurait durci les taxes à leur encontre. Selon eux, l'Etat hongrois, sous le règne du MSZP et du Fidesz, avait facilité l'implantation de ces établissements en leur accordant des faveurs fiscales. Le Jobbik a ainsi souvent oublié de mentionner que malgré les bénéfices transférés hors du pays, ces enseignes donnent tout de même du travail à des milliers de personnes en Hongrie.

La philosophie du réseau alimentaire Koppány consiste à favoriser la production des produits hongrois, en utilisant uniquement la main d'œuvre et les matières premières hongroises. Cette approche nationaliste pourrait ne pas être exclusivement négative en soi, toutefois les prix pratiqués sont relativement élevés dans ces boutiques du fait de la petite échelle de cette production et par ailleurs, ces petites boutiques sont imprégnées de la rhétorique de l'extrême droite, qui ne s'arrête pas à des conceptions portant sur la production alimentaire, mais qui souvent ne respecte pas les minorités ethniques, la liberté de la presse, les droits de l’Homme, etc. Les produits et les services vendus sont donc bien plus les produits d'une culture politique que de simple produits alimentaires ou de consommation, et la plupart des clients savent très bien dans quel magasin ils entrent.

Une autre enseigne, plus ouvertement liée au parti Jobbik, consiste en une compagnie de taxi qui s'appelle tout simplement Jobbik Taxi. En empruntant un taxi Jobbik, les clients peuvent s'attendre à écouter, tout au long de son trajet, de la musique nationale vivant souvent à servir l’idéologie extrémiste: soit du rock national, comme les morceaux du groupe Karpatia, soit de la musique folklorique. Mais ce qui est encore plus certain, c'est que le conducteur ne restera pas silencieux et qu'une conversation politique commencera dès le début du voyage et il expliquera pourquoi la politique du Jobbik est l'unique choix possible pour sauver la nation hongroise du capitalisme et de l’impérialisme des marchés occidentaux. Il renseignera également ses clients sur toutes les erreurs que le gouvernement socialiste précédent avait commises pendant les huit dernières années, et indiquera que le pauvre peuple hongrois sera toujours exploité par des intérêts des compagnies et des banques multinationales.

Dans la plupart des cas, ces réseaux alimentaires et autres services sont nés de l’initiative d'individus ou de groupes d’individus sympathisant avec le parti radical Jobbik. Ils ont ainsi choisi d'associer leur engagement et positions politiques avec leur profession. Cela donne ainsi lieu à des appellations qui ne laissent pas de place au doute: en Hongrie, une boucherie „nationale” signifie que son propriétaire est engagé à droite voire à l'extrême droite de l'échiquier politique. Il en va de même dans la démarche du créateur de Jobbik taxi. Il est supposé de la création de ces enseignes est financé directement ou indirectement par des individus riches et influents du parti Jobbik, bien que cela reste encore difficile à vérifier. Toutefois ce phénomène n'est bien sûr pas propre au Jobbik. On soupçonne le Fidesz et le MSZP de disposer également d'un tel réseau de sympathisants, dans des secteurs toutefois sans doute bien différents.

Bálint Seres