Le JFB dresse son palmarès
Le cinéma est à l’honneur dans le cœur du Journal Francophone de Budapest, qui a voulu lui être reconnaissant en attribuant des prix aux films projetés lors des 7ème Journées du Film Francophone. Le festival s’est tenu du 1er au 10 mars dans la splendide salle du cinéma Uránia, et celle plus intimiste d’Art+cinema, avec une programmation riche en belles découvertes.
JFB d’Or : Ma vie de courgette de Claude Barras, 2016
Nous décernons le JFB d’or au film d’animation Ma vie de courgette de Claude Barras pour l’incroyable tendresse qu’il parvient à nous communiquer malgré les thèmes difficiles qu’il introduit. L’abandon, le manque, la maltraitance sont abordés au travers du regard enfantin. Des enfants qui se retrouvent seuls, mais, entourés de nouveaux amis, ils vont retrouver un équilibre, voire une nouvelle famille. Inspiré du livre Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris, l’histoire de ce petit garçon qui perd sa maman et se retrouve dans un foyer d'accueil nous touche profondément. Sa nouvelle vie au foyer prend des allures de parcours initiatique où il découvre la camaraderie, le partage, la tolérance et même le sentiment amoureux. Tout cela accompagné par le personnage attachant du policier avec qui il développe une belle complicité. En se positionnant à la hauteur des enfants, le réalisateur parvient à nous transmettre toute l’énergie qu’ils dégagent, mais aussi leur force et leur résistance intangibles face aux épreuves que la vie leur apporte. On comprend pourquoi ce conte en pâte à modeler a bouleversé le jury des César 2017. C’est donc un JFB d’Or bien mérité pour ce film intergénérationnel qui s’inscrit dans la réalité et parvient à nous émouvoir, nous faire rire et nous attendrir.
JFB des Éclats de rire : Adopte un veuf de François Desagnat, 2016
Pour réussir une comédie, il faut que plusieurs ingrédients se retrouvent, se mélangent et suscitent de nombreux éclats de rire auprès du public. Adopte un veuf offre dans un panier bien garni des personnages attachants et pétillants, des situations cocasses, un dynamisme visuel constant, du rythme, de l’humour et une bande originale colorée. A la suite d’un quiproquo, Hubert Jacquin, ayant du mal à accepter sa récente solitude, voit sa vie chamboulée lorsque Manuela, étudiante optimiste, s’installe chez lui. Une colocation se met en place sous ce toit, accueillant également un avocat en instance de divorce et une jeune infirmière un peu coincée. C’est la vie qui renaît dans cette rencontre entre plusieurs générations et caractères très différents, ainsi qu’un sentiment bienveillant de père protecteur auprès d’Hubert, dont le seul regret était de ne pas avoir d’enfants. Le quatuor est brillamment mené par l’énergie communicative de Bérengère Krief, et c’est un très agréable moment que l’on passe en compagnie d’André Dussolier, Julia Piaton et Arnaud Ducret. Le projet d’un second volet du film est en route, affaire à suivre.
JFB du Film qui va droit au cœur : Réparer les vivants de Katell Quillévéré, 2016
Mêlant le drame et la renaissance, le deuil et la résurrection, le film de Katell Quillévéré, adapté du roman de Maylis de Kerangal, est une invitation aux émotions fortes. Le sujet est poignant, la transplantation cardiaque, et deux vies se chevauchent. Celle d’un jeune surfeur qui s’arrête brutalement, victime de l’injustice du cours de la vie, face à celle d’une mère de famille malade, magnifiquement interprétée par Anne Dorval, qui ne sait si elle doit accepter ce second souffle qu’on lui offre. Un film d’émotion, avec une réalisatrice qui parvient à nous transmettre toute l’humanité qui émane de chacun des personnages. Que ce soit ce jeune médecin qui réalise les derniers vœux de la famille de Simon, cette jeune interne et son regard ébloui lorsqu’elle assiste à sa première transplantation cardiaque ou le fils de Claire, qui se dévoue corps et âme pour que sa mère survive. Chacun d’eux possède une humanité bouleversante. La force des personnages est renforcée par des scènes d’une beauté stupéfiante. La course folle de Simon rattrapant celle qu’il aime, de même que la vague immense qui engloutit le véhicule ou le dernier regard du jeune surfeur pour sa dulcinée, autant de scènes d’une splendeur et d’un esthétisme incroyable. L’émotion, l’humanité et la beauté cinématographique se croisent donc habilement dans ce film qui nous va droit au cœur.
JFB de l’Audace : Laurence Anyways de Xavier Dolan, 2012
Un garçon au féminin, une fille au masculin et un film plein d’audace face à la structure du genre que le personnage dépasse. Laurence marche, d’un pas déterminé, elle est élégante et d’elle nous ne pouvons que contempler ses jambes interminables perchées sur des chaussures à talons. Laurence regarde surement, mais Laurence est surtout regardée. Les yeux se rivent sur le personnage, et sur chacun de nous, accrochés sur nos sièges face à la contemplation de la différence. Celle de Laurence mais aussi celle de chaque être humain, et nous laisse seulement penser que certaines sont plus visibles que d’autres. Telle est la scène d’ouverture de Laurence Anyways, troisième long métrage du jeune prodige québécois Xavier Dolan. Un film sur la métamorphose, confrontée en permanence à ce qui l’entoure, les questions qu’elle soulève et les montagnes qu’elle peut dépasser, ou pas. Le film est avant tout une histoire d’amour, tragique, devenue impossible. C’est celle d’un Melvin Poupaud très juste dans le rôle principal, qui dépasse en permanence ses propres limites en restant lui-même face à son monde qui se bouleverse. Tel est le paris de Xavier Dolan, montrer que la différence s’adapte au monde, mais que le monde a du mal à s’adapter à elle. La question de la transsexualité n’est qu’un reflet des limites de chacun à envisager l’autre, son individualité et sa capacité d’évolution, notamment dans le couple, où l’affirmation de l’un en tant qu’individu ne paraît exister qu’à travers la perte de l’autre. Un essai cinématographique, mêlant gender-studies, tragi-comédie, et opéra queer aux couleurs pop, musiques entêtantes, esthétique maîtrisée et naïveté latente pour cette masterpiece signée par un Dolan audacieux.
JFB Bouche bée : Nocturama de Bertrand Bonello, 2016
Tout aussi controversé que déstabilisant dans un contexte post-attentat où l’état d’urgence est un élément central du débat politique, Bertrand Bonello, auteur phare du cinéma français nous dresse un film explosif qui a eu le don de s’imposer par son caractère déplacé. Mais il est de notre volonté de le voir ou non comme déplacé, puisqu’il est difficilement assimilable aux événements récents. Insolent et indéniablement différent, ce film nous fait suivre le parcours de jeunes gens dans leur projet de commettre un attentat dans des lieux stratégiques de la capitale. Ce qui est indéniable, c’est que le réalisateur déconstruit le portrait sociologique des terroristes, émet une critique virulente de la société, de son système et questionne la démocratie et les ennemis qu’elle créait elle-même. Avec ce film, chacun peut être terroriste, et le passage à l’acte paraît inévitable pour ces jeunes, dont l’engagement est tantôt effrayant, tantôt révoltant, tantôt incompréhensible et parfois coupablement justifié. Jusqu’où peut aller l’indignation, où commence la violence, jusqu’où peut-elle aller ? Au-delà de notre système, Bonello interroge l’humain et ce qu’il est capable de faire, la manière dont il peut le faire en refusant d’accepter ce que la société impose à chacun qu’il soit riche, pauvre, diplômé ou non. Une sorte de fin de notre monde à l’échelle microscopique, qui soulève beaucoup de questions sans y répondre afin de nous perdre un peu plus dans le trouble dans lequel se trouvent les personnages, porte-drapeaux d’une jeunesse perdue et indignée. L’esthétique et la polémique sont indiscutables dans ce film, pour ce qui est de l’apprécier, cela dépend de chacun, néanmoins ce qui est sûr est qu’il ne peut faire l’unanimité.
JFB de la Résistance : Les Innocentes d’Anne Fontaine, 2016
Panser l’horreur, c’est à cela que nous ramène cette histoire aussi frappante que terrible. Le film nous renvoie en 1945, à la fin de la guerre, en Pologne. Une religieuse vient implorer l’aide d’une jeune médecin française, qui finit par accepter de venir secourir ces nonnes. Elle découvre alors le drame qui s’est déroulé au couvent. Violées et violentées par les soldats russes, nombre de religieuses sont enceintes et sur le point d’accoucher, tout cela dans le plus grand secret. L’ambiance glacée de l’hiver et l’austérité du lieu vient s’ajouter au désarroi de ces femmes qui veulent à tout prix conserver leur secret, se protéger de l’extérieur, de la honte. Ce drame invite aussi à s’interroger sur la question de la foi : certaines l’ont conservé malgré tout, pour d’autres, Dieu les a abandonnés à leur sort. La confrontation puis la confiance qui se développe entre les religieuses et la jeune médecin, interprétée très justement par Lou de Laâge, apporte de la lumière et de l’espoir sur la tragédie dont a été victime le couvent. La démarche est compréhensive, d’abord sur leurs gardes, ces femmes vont finalement se laisser soigner et se livrer sur leurs sentiments les plus profonds. Un film empli de vérités, qui nous rappelle les horreurs de la guerre mais également l’entraide, l’humanité qui en découlent et invite à une réflexion sur la spiritualité.
JFB de l’Implosion : Juste la fin du monde de Xavier Dolan, 2016
Le bruit du silence, le silence du bruit, tel est le manque de communication dans la famille de Louis, héros tragique, différent des autres membres et indéniablement transfuge de classe. Pour le reste, Xavier Dolan nous offre la possibilité d'interprétation de chacun des personnages, de l’attachement au rejet en passant par le malaise, chacun nous livre ses psychoses, ses frustrations et ses sentiments, parfois en hurlant, parfois en se taisant. Nous sommes chacun face à ce dilemme, qu’est ce qui est le plus supportable ? Le poids du silence, ou les hurlements assommants ? Rien n’est supportable, c’est ce qui donne la force à ce film, nous donne envie de fuir et de rester, jusqu’au bout, jusqu’à la fin du monde. Pas plus supportable que d’entendre la macabre nouvelle que vient annoncer Louis après deux ans d’absence: sa mort prochaine. Adapté de la pièce éponyme de Jean Luc Lagarce, Juste la fin du monde nous replonge dans un contexte ou le Sida sévissait avec force autant qu’il était tabou, au même titre que l’homosexualité, celle de Louis très peu évoquée, biographique de l’auteur emporté par la maladie au milieu des années 1990. Mais le film ne laisse pas de place à la mélancolie, à la tristesse, elles sont tout aussi taboues que le manque et l’admiration, chaque sentiment passe ainsi par le prisme de la haine. Les dialogues sont sourds, le film est étouffant mais terriblement beau. Ce drame familial duquel on sort avec une seule envie: exploser.
JFB du Breizh Power: La fille de Brest d’Emmanuelle Bercot, 2016
Adapter à l’écran la révélation du scandale sanitaire du Mediator avec énergie, réalisme et dynamisme, seule une réalisatrice comme Emmanuelle Bercot pouvait relever ce défi. Le scénario s’appuie sur le livre d’Irène Frachon, Mediator 150 mg : combien de morts ?, et retrace l’histoire vraie de la pneumologue brestoise devenue lanceuse d’alerte, menant une lutte inébranlable contre l’indifférence bureaucratique, les conflits d’intérêts dans lesquels trempent les grands laboratoires pharmaceutiques et les institutions centralisées à Paris. Cette opposition entre la capitale et la province sert de toile de fond pour révéler des personnages à la démarche sincère et à la détermination tenace. Le journalisme comme quatrième pouvoir apparaît comme un soutien parmi d’autres lorsqu’il s’agit de défendre une cause, et c’est principalement le portrait d’une femme révoltée et altruiste qui est mis en lumière, pour qu’éclate au grand jour la vérité. Sans temps mort, La Fille de Brest cogne fort et transforme la réalité en thriller, si ce n’est l’inverse.
Notre cœur n’a cessé de balancer durant cette semaine palpitante. Nos battements se sont alignés au rythme de nombreuses autres productions, qui nous ont amenées à décerner des mentions spéciales. Le film Ouvert la nuit porté avec brio par Edouard Baer et dégageant une belle énergie communicative a retenu notre attention, tout comme le film Un petit boulot, dans lequel Romain Duris nous offre une vision décomplexée d’un métier peu conventionnel: tueur à gage. Le cinéma dont le cœur ne s'essouffle jamais a un bel avenir devant lui, de nouveaux talents viendront s’y greffer, et notre plume n’arrêtera pas de vibrer aux battements des nouvelles programmations à venir.
Eloïse Brugallé, Théo Cazedebat & Julie Gaubert
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