Le Japonisme hongrois s'invite sur les rives du Danube
Porcelaines, peintures, éventails et kimonos aux motifs fleuris se révèlent au grand jour pour la première fois dans l'exposition "Geishas le long du Danube" (Gésák a Duna-parton) au Várkert Bazár jusqu’au 12 mars. Sur deux étages se font écho des pièces originales provenant de Chine et du Japon avec des productions "locales", témoins du japonisme hongrois de la fin du 19e siècle.
L'exposition débute avant même de pénétrer dans la première salle, en gravissant les escaliers : une longue affiche suspendue au plafond plonge avec légèreté au milieu des marches, avec des motifs représentants des fleurs et papillons majestueux imprimés à l'encre bleue de Chine. C'est une invitation à la flânerie, au charme délicat des coups de pinceaux d'artistes du pays du soleil levant, imités quelques siècles plus tard par les grands artistes Européens de la fin du 19e siècle. János Thorma salue Hokusai, József Rippl-Rónai, Van Gogh, Toulouse-Lautrec répondent aux estampes de Hiroshige. Dans la salle des gardes du Várkert Bazár, c'est un voyage oriental que nous propose cette exposition, ponctué de portraits de geishas lascives et envoûtantes, parfois authentiques, d'autres fois incarnées par les cantatrices d'opéras de la Belle Époque vêtues à la japonaise.
Tout l'équilibre de ces pièces repose sur l'exotisme que représentent ces sources japonesques. En atteste l'une des œuvres phares de cette collection, "Femme japonaise" (Japán nő) de Bertalan Székely (1871) : une jeune femme coiffe ses longs cheveux noirs en chignon japonais, à demi vêtue d'un kimono de soie aux reflets d'or, devant un paravent où des cigognes prennent leur envol vers les volutes des nuages très représentatifs du style japonisant. De ce tableau, prêté par la Galerie Nationale de Hongrie pour l’occasion, se dégage une sensualité ainsi qu'une délicatesse dans le mouvement du sujet et du pinceau, comme si l'artiste rendait hommage à la sérénité légendaire des peintres asiatiques.
Hommage au Japonisme hongrois, une période artistique riche et variée
Le courant artistique appelé « japonisme » commence en Hongrie avec la céramique. En effet, c’est Mór Fischer, fondateur de la célèbre manufacture de porcelaine Herend encore en activité aujourd’hui, qui connaît un grand succès à l’Exposition internationale de Londres en 1851 avec des objets et motifs japonisants. Si l’on met côte à côte une assiette en porcelaine sortie tout droit des ateliers de l’usine et une assiette d’origine japonaise, seul un spécialiste à l’œil affûté pourrait les différencier. Le visiteur peut se prêter au jeu des sept différences, mais les motifs végétaux et colorés semblent tellement identiques qu’il est préférable d’admirer simplement le souci du détail de ces vases, bols, assiettes et grandes vasques.
Bien qu’un peu plus tardif qu’en France ou en Grande-Bretagne, le japonisme hongrois se décline dans des objets divers, du buffet plutôt « arts décos » aux affiches de théâtre, en passant par les vêtements amples et légers, accessoires comme des peignes ou pipes en bois sculptées, sans oublier les peintures et décors d’opéras. C’est d’ailleurs baignée dans un extrait de Madame Butterfly de Puccini que la visite se continue dans la salle suivante, pour se retrouver au milieu du Café du Japon, situé alors à Andrássy út. Il s’agissait alors du premier café des artistes en Hongrie, et s’y côtoyaient allègrement les plus grands de l’époque : Rippl-Rónai,
Kosztolányi, Lazarine Baudron, etc. L’historienne des arts Katalin Gellér a travaillé durant de longues années sur ce chapitre de l’art. Elle raconte une anecdote au sujet de cet illustre lieu de vie et d’inspiration artistique :
« Il est arrivé qu’un jeune homme japonais arrive au Café du Japon et se sente déconcerté : tout en ce lieu évoquait son pays, du mobilier jusqu’à la plus petite des tasses. Seule la clientèle n’était pas la même. Il est reparti avec une impression très positive de ces Européens, qui en quelque sorte rendait hommage à sa culture. » Le café aujourd’hui n’existe plus, remplacé par la librairie Írók Boltja, mais l’esprit café des artistes demeure à travers les rencontres littéraires qui y prennent place.
Cet échange culturel entre l’Europe et le pays du soleil levant au tournant du 20e siècle pourrait d’ailleurs ressembler aux prémices de la mondialisation, un moyen de communication entre les pays et les arts. Au fil de l’exposition, c’est surtout cette transversalité qui prime, et qui laisse à supposer des racines asiatiques lointaines sous le pinceau des artistes hongrois.
Julie Gaubert
Informations pratiques :
Un catalogue anglais-hongrois de l’exposition est disponible pour flâner d’avantage entre les rives du Danube et celles de la mer de Chine.
Des visites guidées ont lieu deux fois par semaine, à raison de 35 personnes par groupe maximum.
L’exposition se termine le 12 mars 2017.
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