Le destin tragique des Rroms du Kosovo
De l’élite aux camps empoisonnés
Lundi 24 septembre, une explosion fait deux morts et onze blessés à Pristina, capitale du Kosovo, accentuant la tension avant une rencontre de haut niveau entre Serbes et Kosovars pour trouver un compromis sur le statut définitif de la province administrée par la MINUK (Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo). Alors que la communauté internationale tourne une fois de plus son regard vers le conflit entre Serbes et Kosovars, il est temps de parler du sort d’une minorité trop souvent oubliée, prise en étau dans l’affrontement des deux nationalismes et qui n’a guère l’occasion de faire entendre sa voix : les Rroms.
Durant la guerre froide, tandis que les Rroms d’Europe de l’ouest sont ignorés et ceux du bloc communiste victimes de politiques assimilationnistes de grande envergure, la communauté rromani de la Yougoslavie communiste de Tito est de loin la plus développée d’Europe. Dans cette région, les Rroms ayant participé en masse à la résistance contre le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale, avaient bénéficié de postes haut placés dans le régime titiste et de certains droits leur permettant de développer leur culture minoritaire. La Yougoslavie est alors le seul pays d’Europe où la culture rromani fleurit et donne naissance à une communauté éduquée qui fournit médecins, avocats et écrivains à la société yougoslave.
Lorsque le pays éclate au début des années 1990, les Rroms du Kosovo savent que dans une région d’Etats-nations avec une Macédoine, une Serbie et peut-être un Kosovo albanais, les seuls Yougoslaves qui restent, ce sont eux. Alors que les Albanais se réfugient en Albanie et les Serbes dans la petite Yougoslavie (Serbie et Monténégro), environ 100 000 Rroms, sans nation mère, tentent de trouver refuge en Europe de l’ouest, où on ne leur accorde que très rarement le statut de réfugiés.
C’est ainsi que durant la dernière décennie du vingtième siècle, une partie de l’élite intellectuelle yougoslave se retrouve dans les rues des capitales d’Europe de l’ouest.
En 1999, la situation empire. Le conflit entre Serbes et Kosovars albanais oblige les populations du Kosovo à fuir le pays. Une fois de plus, tandis que les portes de l’Albanie et de la Macédoine s’ouvrent aux Albanais, les réfugiés Rroms sont bloqués à la frontière et obligés de rester. De retour au Kosovo dans la même année, des Albanais accusent les Rroms d’avoir collaboré avec les Serbes et entreprennent une épuration ethnique systématique ainsi que l’occupation des quartiers où les Rroms avaient vécu en paix à leurs côtés. La torture, les viols, les incendies criminels et les meurtres ciblés se propagent. Sur environ 140 000 Rroms habitant le Kosovo en 1999, plus de 90% sont contraints à l’exil afin de protéger leur vie.
Vu la gravité de la situation, la mission de l’ONU mise en place pour gouverner la région place la plupart des Rroms restés au Kosovo dans des camps destinés aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, situés dans la zone Nord de Mitrovica. L’arrangement n’est censé durer que 45 jours puisqu’il est déjà à l’époque de notoriété publique que ces camps sont situés dans des zones extrêmement toxiques, à proximité des rejets du complexe minier de Trepca. En 2000, puis encore en 2004, l’Organisation Mondiale de la Santé relève un taux extrêmement élevé de plomb dans le sang des habitants des camps, conclut qu’il y a urgence médicale et recommande l’évacuation immédiate des enfants et femmes enceintes. Certains sont alors replacés dans d’autres camps, un peu plus loin du complexe de Trepca. Mais les Rroms ne peuvent retourner chez eux, dans des quartiers désormais albanais, surtout en l’absence de toute autorité permettant de garantir qu’ils ne seraient pas violemment agressés au-delà des grillages de leur prison empoisonnée.
Depuis lors, plusieurs décès dans les camps de Mitrovica ont été attribués à une intoxication au plomb et ses symptômes, tels que les convulsions, les comas ou les problèmes de coordination motrice, se généralisent, surtout chez les enfants. Pourtant, en 2007, huit ans après l’”arrangement temporaire” qui les y a conduits, environ 800 Rroms meurent lentement dans les camps intoxiqués de Mitrovica.
Marion Kurucz
Un film a été tourné à Mitrovica par la Fondation Romedia. Il passera sur Duna TV le 17 novembre 2007 à 17h15. Pour plus d'informations, contactez Marion Kurucz. kuruczmarion@gmail.com