Le dernier jour d’un(e) condamné(e) d’après le roman de Victor Hugo
Procès à charge de la peine de mort
Production : Compagnie L’Embellie Turquoise
Interprétation : Lucilla Sebastiani
Représentations :
le 9 octobre au Lycée Français Gustave Eiffel de Budapest
le 10 octobre à l’Institut Français
Le 9 et le 10 octobre marquaient respectivement l’abolition de la peine de mort en France et la journée internationale de lutte contre la peine de mort. L’occasion était trop belle de marquer le coup. Ainsi, la compagnie théâtrale professionnelle “L’Embellie Turquoise (1)” était invitée à jouer la pièce adaptée du roman de Victor Hugo “Le dernier jour d’un condamné” à l’Institut Français le 10 octobre.
Le spectacle terminé, un débat était prévu au sujet de cette sentence et de son application dans le monde.
Mardi 10 octobre à 13h45, presque une centaine de lycéens se retrouvent à l’Institut Français. Rassurez-vous, il ne s’agit pas d’un cas “d’école buissonnière” de force majeure, ni d’ailleurs d’une grève contre la réforme de la loi travail (ce ne serait pas improbable car après tout la plupart d’entre eux sont français). Non. Il s’agit tout simplement d’une sortie scolaire prévue dans le cadre de la journée internationale contre la peine de mort. Est présenté à 14h “ Le dernier jour d’un(e) condamné(e)”. C’est là l’une des seules libertés prises par rapport au texte original écrit en 1829, presque deux cents ans plus tôt. Le personnage est féminisé à l’occasion, afin de montrer que cette sentence touche aussi les femmes.
Ce ne sont pas seulement des lycéens qui sont venus découvrir cette adaptation. L’Ambassadeur de France, Monsieur Fournier, est lui aussi présent pour nous adresser un message à portée pédagogique. Ce dernier a exposé aux jeunes présents les enjeux autour de la peine de mort. Non, il ne s’agit pas seulement du sort de quelques assassins. Non, la peine de mort n’est pas un lointain souvenir, un relent moyenâgeux, disparu de nos contrées dites “civilisées”. L’Ambassadeur nous le rappelle, la peine de mort est encore aujourd’hui appliquée dans de nombreuses parties du monde. Cette sentence renvoie à de multiples questions d’éthiques, voir métaphysiques qui rythment et questionnent profondément nos sociétés.
Le discours fini, place à ce que nous attendons tous. Ce roman est un classique. Tout le génie d’Hugo y transparaît. Nous y retrouvons dans cette grande oeuvre littéraire toute la force d’un homme révolté, luttant avec courage contre la peine de mort. Cette lutte se poursuit aujourd’hui et bien d’autres combattants ont pris la relève.
Comme dans le roman, il se dégage de cette pièce une puissance immense. L’interprétation de Lucilla Sebastiani rend parfaitement compte de la torture psychique que vit cette femme, de son calvaire. Le texte original de 1829 est conservé. Pourquoi changer un texte aussi fort ?! Certes, certains choix de mise en scène ont dû être faits, mais la justesse des propos initiaux, leur force, ne peuvent être remplacés. Les geôliers, le prêtre et la fille de la condamnée n’apparaissent pas et sont évoqués rapidement. Une sobre cagette en bois et un simple matelas blanc sont disposés sur la scène. Dès lors, toute l’attention est portée sur la condamnée dans le but de renforcer le sentiment d’enfermement et de solitude dont elle est victime. Devant nous cette souffrance est indescriptible. Elle apparaît par conséquent injustifiable à nos yeux et ce malgré le crime commis (volontairement omis). Nous sortons de ce spectacle illuminés par la performance de l’actrice. Les salves d'applaudissements retentissent encore dans l’amphithéâtre. Place dorénavant au débat.
La peine de mort : un débat tranché ?
Le débat est initié par des journalistes, des avocats en droit pénal et l’actrice de la pièce. Tout d’abord, la situation de la peine de mort dans le monde est évoquée. Pas moins de 57 pays dans le monde la maintiennent et l’on voit ressurgir cette question dans nos pays abolitionnistes à chaque nouvelle attaque terroriste. N’est-il pas légitime de tuer dans des cas aussi extrêmes ?! Le débat n’est en aucun cas clos, une certaine passion collective pour l’application de cette peine réapparaît aussi dans l’opinion publique à chaque révélation de faits divers sordides. Comme le montrent les intervenants, l’attrait pour cette sanction radicale est irrationnel. Dans aucun des pays où celle-ci est pratiquée, on observe un recul de la criminalité ; elle est inefficace. Tous sont d’accord pour critiquer avec véhémence ce châtiment.
Cette année est abordée cette question à travers le prisme de la pauvreté. La peine de mort ne frappe pas sans distinction de classe. Comme nous le rappellent les intervenants, 95% de ceux qui attendent dans les couloirs de la mort aux Etats-Unis sont issus de milieux défavorisés. Comme le dirait La Fontaine “Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir”. Selon que vous aurez de quoi vous payer un bon avocat ou non, les jugements de cour vous feront condamner à mort ou enfermer à vie pourrait-on dire aussi.
Finalement, la principale interrogation qui ressort est la suivante : une société peut elle décider d’ôter la vie d’un de ses concitoyens ? C’est une question essentielle, complexe. Bien que la peine de mort continue et continuera d’être appliquée, cette question elle aussi continuera à se poser. Cela ne fait aucun doute. Tout cela en partie grâce à un jeune romancier français qui publia en 1829 un roman.
François Lalande
(1) La Compagnie L’Embellie Turquoise a la volonté de proposer des textes de sens qui façonnent la profondeur de l’être humain.
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