Le Christ au Mont des oliviers, un oratorio rarement joué, au programme des Journées „Beethoven à Buda”
S´il a manifesté son génie dans pratiquement tous les genres, de la musique instrumentale à la musique symphonique en passant par la musique de chambre, le concerto et le chant, Beethoven ne nous aura par contre légué que deux messes, un seul opéra et un unique oratorio (abstraction faite des deux cantates de jeunesse). Il est vrai, avec ces deux chefs d´œuvre que sont la Missa solemnis et Fidelio. Moins connu est, par contre son oratorio Le Christ au Mont des oliviers. Une œuvre rarement jouée qui figurait cette année au programme des Journées „Beethoven à Buda”. Journées organisées chaque année depuis vingt ans pour commémorer le concert que le jeune Beethoven donna au théâtre de Buda le 7 mai 1800 (1). Un oratorio donné dans le cadre baroque de l'église paroissiale du Château (Krisztinaváros).
Composé en quinze jours durant l´été 1801 sur un texte de Fanz Xaver Huber, l´oratorio fut présenté au public le 5 avril 1803 au théâtre An der Wien dans un concert au programme duquel figuraient également la Deuxième symphonie et le Troisième concerto. L´accueil fut plutôt mitigé, surtout dans la presse où les critiques ne manquèrent pas. Beethoven allait par la suite s´en expliquer : „La première de mes œuvres dans ce genre, écrite en 14 jours parmi tout le tumulte et tous les désagréments et angoisses possibles, alors que mon frère était mortellement malade.” Lui-même, non pleinement satisfait, allait le remanier à deux reprises, en 1804, puis en 1811, date de sa publication sous l´opus 85. A partir de là, l’oratorio allait être redonné à plusieurs reprises en concert (1815,1823), toujours avec succès. Pour en revenir à la première de 1803, il faut dire que le public viennois avait été particulièrement gâté avec ces deux chefs d´œuvre que sont les Saisons et la Création de Haydn produits quelques années plus tôt. Deux monuments que le jeune Beethoven ne pouvait prétendre concurrencer.
La raison de cet accueil réservé s´explique dans la conception même que Beethoven se faisait de l´œuvre. A l´opposé de la rigueur qui était de mise dans l´interprétation des écritures, Beethoven nous présente ici un Christ en chair et en os, véritable héros d´un drame humain. Au point que beaucoup y voient une œuvre plus proche de l´opéra que de l´oratorio. De plus sans récitant et en confiant au Christ une voix de ténor, ce qui, à l´époque, était impensable et avait de quoi choquer. Les critiques jugèrent l´œuvre trop théâtrale, quoique qu´offrant de „fort beaux passages”. Beethoven se préparait précisément à travailler sur un projet d´opéra, Léonore (Fidelio), et d´aucuns considèrent que l´écriture du Christ au Mont des oliviers lui servait en quelque sorte de banc d´essai. Par ailleurs, bien que l´entente fût bonne entre le compositeur et son „librettiste”, Beethoven dut lui-même reconnaître que le texte de Huber était bien imparfait, voire offrant par endroits de sérieuses faiblesses. Mais il refusa néanmoins de le faire remanier comme l´avait exigé son éditeur.
Force est de reconnaître que les réserves émises par les contemporains étaient totalement justifiées. Beethoven nous sert là une œuvre théâtrale, effectivement plus proche de l´opéra que de l´oratorio. Au point que nous y décelons de nombreuses ressemblances avec Fidelio qui sera créé quatre années plus tard (2). Une œuvre où se fait également sentir l´empreinte de la Création de Haydn qui, visiblement, a fortement marqué le jeune Beethoven. Quoi qu´il en soit, théâtralité ou pas, jouons le jeu et sachons faire abstraction des préjugés formalistes. Car, au plan purement musical, il est indéniable que Beethoven nous a laissé avec ce Christ au Mont des oliviers un œuvre fort belle qui mérite largement d´être écoutée et reconnue.
Écrit pour orchestre, chœur, ténor (le Christ), baryton (Pierre) et soprano (Séraphin), le Christ au Mont des oliviers se compose de 18 numéros divisés en deux parties. L´interprétation qui nous en fut donnée ce soir était servie par l´orchestre Orfeo et le chœur Purcell placés sous la baguette de György Vashegyi avec en solistes Andrea Csereklyei, soprano, Marton Komaromi, ténor et Loránt Najbauer, baryton. Un ensemble que nous avons déjà eu à maintes reprises l´occasion d´entendre et d´apprécier.
Que dire de l´interprétation ? Excellents solistes, surtout la soprano et le ténor, le baryton nous semblant légèrement en retrait, nous offrant une voix un peu mince, par moments couverte par les deux autres. Un coup de chapeau au passage à la soprano (Andrea Csereklyei) au timbre agréable et à la voix pure, maîtrisant parfaitement les aigus. Excellent également, le chœur, probablement mieux servi par l´acoustique. Car nous ne saurions passer sous silence le sérieux handicap de cette soirée : l´acoustique. Au point que, placés sous une imposante voûte, les solistes avaient beau faire, leur voix se perdait par moments et se distinguait mal dans les passages accompagnés par le chœur. Quant à l´orchestre, une belle interprétation vigoureuse soulignant bien le caractère dramatique de l´œuvre. Mais ici encore, desservi par l´acoustique. Un ensemble dont nous apprécions généralement la grande clarté, ce qui ne put être vraiment le cas ce soir. Les notes et les voix résonnaient de façon parfois excessive, souvent gênante. Dommage...
La voûte de cette église baroque, certes fort belle, ne se prête apparemment pas à ce genre de concerts, du moins dans la disposition adoptée ce soir. Malgré tout, nous n´avons rien à regretter, ne serait-ce que pour avoir entendu une œuvre rarement jouée, pourtant bien belle, notamment avec cette merveilleuse finale qui n´est pas sans rappeler celui de la Création. Une soirée au demeurant fort applaudie dans une nef pleine à craquer.
Pour terminer, un coup de chapeau aux organisateurs de ces journées consacrées à Beethoven, qui nous proposent chaque année une programmation riche et variée avec des œuvres inédites. Tel, cette année, un récital consacré aux délicieuses pièces pour piano et mandoline quasiment inconnues du public. Ou encore cette soirée nous proposant les transcriptions de l´Héroique pour quatuor avec piano et de la IXème pour piano à huit mains. En attendant de goûter au cru 2020….
Pierre Waline
(1): 18 concerts donnés du 30 avril au 7 mai dans le quartier du Château de Buda (1er arrondissement).
(2): A titre d´exemple: le chœur des soldats (Wir haben ihn gesehen..) à rapprocher du chœur des prisonniers ou encore, un peu plus loin, le chœur des disciples et soldats (Hier ist er).
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