Le casse-tête hongrois
Obligé de réduire son déficit budgétaire pour le ramener aux normes de l’UE, le gouvernement hongrois se trouve dans une position difficile qui rend peu aisées les transformations nécessaires de la société. L’activité économique dépend à 80% de sociétés étrangères mais les mentalités ne sont pas encore formées à une vision internationale du travail et, de fait, de nombreux problèmes doivent être résolus si l’on ne veut pas condamner la Hongrie de demain.
Faible rémunération contre faible motivation ?
Le salaire moyen en Hongrie, même si cette notion recouvre de nombreuses disparités, est évalué à 625 euros. Ainsi, pour 800 euros nets, une multinationale peut engager un employé diplômé en économie et maîtrisant deux langues étrangères et la plupart des réceptionnistes des grandes sociétés françaises sont mieux formées et plus compétentes que des cadres moyens français.
Les Hongrois travaillent dur malgré le fait que, dans leur immense majorité, ils ne connaissent pas les valeurs de leur entreprise. La fierté de travailler pour telle ou telle entreprise mondialement connue ne pèse pas lourd face à une augmentation potentielle de salaire et le turnover est parfois très élevé dans certaines entreprises qui se voient, en conséquence, enfermées dans un processus permanent de recrutement. Aux Etats-Unis, où la règle est de se demander ce que l’on peut faire pour son entreprise et non ce qu’elle peut faire pour vous, il existe un proverbe bien ancré dans la philosophie collective et que certains devraient méditer : «if you give peanuts, you get monkeys.»
Pleure, ô mon pays bien aimé !
Il est à noter que le seul frein à la fuite des cerveaux réside dans l’amour inconditionnel que les Hongrois éprouvent pour leur pays. De fait, seuls 5% des Hongrois envisagent d’émigrer vers des terres plus hospitalières. Bien sûr, de nombreux scientifiques n’ont pas d’autres choix, compte tenu du peu de crédits à leur disposition, mais ils partent la mort dans l’âme. Le problème des scientifiques hongrois est similaire à celui des créateurs d’entreprises en France. Le gouvernement favorise l’innovation mais seulement dans le cadre d’investissements importants. Un scientifique trouvera donc un poste de chercheur dans un centre de R&D sans trop de problèmes, mais pas les fonds nécessaires au développement de sa propre invention. Un autre garde-fou à la fuite des cerveaux est l’accueil qui leur est réservé lorsqu’ils migrent. Si un cadre hongrois et un cadre allemand sont mutés au siège d’une multinationale à Paris, devinez lequel bénéficiera immédiatement du respect de ses collègues... Il est vrai que, selon une étude américaine, la moitié des ingénieurs hongrois ne peuvent s’adapter au travail tel qu’il est organisé dans une multinationale, mais cela ne justifie rien pour les autres.
Mort aux Bt et vive les chèques services !
Pour de nombreuses personnes, dont je fais partie à mon corps défendant, la seule manière de trouver du travail consiste à fonder une micro-société ce qui évite aux sociétés clientes de se soumettre au droit du travail. Ce système scandaleux (même pour un libéral !) a tout du chantage au travail et maintient de nombreuses personnes dans une situation précaire, particulièrement les enseignants et les traducteurs. Dans notre société de communication, le contenu est aussi important que le support scientifique qui en permet la diffusion. La situation des écrivains, journalistes, animateurs et autres pourvoyeurs de contenu est particulièrement mauvaise en Hongrie alors que ces professionnels sont le vivier de la Hongrie de demain, au même titre que les scientifiques.
Pourquoi ne pas adopter le système des chèques services ? Ce système permet aux personnes employées de ne pas devoir supporter des charges qui sont trop lourdes pour elles et permet à l’Etat d’avoir l’assurance que les cotisations seront réglées. Comment vivre de commandes intellectuelles incertaines si l’on doit supporter les mêmes charges qu’un entrepreneur du bâtiment ?
Le marché du travail doit être rationalisé et mieux organisé, l’entreprenariat forcé n’est pas acceptable si la société n’en organise pas rationnellement la survie. La société de la connaissance implique une formation de qualité et la possibilité de communiquer vers l’étranger. Les professionnels de ce secteur sont parmi les actifs les moins bien traités en Hongrie, si cette situation perdure le prix à payer sera très élevé.
Il existe en Hongrie des musiciens reconnus qui font des meubles, des écrivains qui repeignent des appartements et des professeurs d’université qui emportent leur salami lorsqu’ils vont à des conférences à l’étranger. Si l’Amérique ultra-libérale aide ses intellectuels c’est parce qu’ils sont utiles. Tous les héros de la culture que nous célébrons aujourd’hui sont morts dans la misère, pourquoi ne pas changer d’attitude ?
Xavier Glangeaud
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