Le Billet d'humeur: RÂLEUR
Cette semaine je voulais vous parler d’un petit livre délicieux d’intelligence et tout à fait écrit pour ceux qui aiment voyager. C’est Bonjour New York de Françoise Sagan dont on réédite beaucoup des articles ces derniers temps. Certains esprits chagrins peuvent penser à leur guise qu’il ne s’agit ici que des fonds de tiroirs d’une écrivain de deuxième rayon, mais en réalité c’est bien plus que ça. Sagan excellait littéralement dans cet exercice où elle lâchait son esprit tonique tout en donnant la sensation de toujours écrire sur un coin de zinc.
Elle y parle ici de deux villes et d’une île qu’elle aimait. Recette : des mots qui n’ont l’air de rien, du swing, du punch et un doigt de dry martini. Le reste n’est qu’affaire d’alchimie ou comment le verbe venait à cette jeune fille tout sauf sage. La Sagan des débuts est un petit prodige de fraîcheur. Ça coule si bien de source que j’en suis mauve de jalousie.
Et jalouse pour jalouse, je vous recommande également la biographie qu’a écrite sur elle la portraitiste la plus talentueuse du journal Libération: Marie-Dominique Lelièvre, Sagan à toute allure. Je l’avoue, je l’attendais un peu au tournant en me disant «Mais ma parole c’est l’histoire de la grenouille qui se prend pour un bœuf. Il lui faudra bien du talent pour réussir à étirer un portrait comme on le fait d’un vieux chewing-gum trop mâché. Et puis la barbe, encore Sagan et cette époque Maseratti-Saint-Tropez où la gentry savait soi-disant s’amuser si follement.»
Et bien autant vous le dire tout de suite: ce livre je ne l’ai lâché qu’une fois tout à fait avalé, qu’une fois le dernier chapitre, la dernière phrase proprement gobés. Ça glisse tout seul comme un pet sur une toile cirée. À coup de petits chapitres très rythmés, elle déploie la mythologie de cette enfant sans limites qui a paraît-il inventé le jeunisme. De lignes de coke en fiascos de casino, d’amours naufragées en pépins de santé, tout y est. La légende peut dormir tranquille quant à l’œuvre, c’est une autre paire de stylos bille ! Rien ou très peu si ce n’est le constat à peine masqué d’une écrivain plus connue pour sa vie que pour ses écrits. Et ça ne va pas s’arranger. Un film est en préparation à ce qu’il paraît et…
La Sagan mania n’a pas fini de déferler.
Mais ce qui me chiffonne le plus dans cette affaire c’est comment une chroniqueuse, voire une écrivain, - et oui n’ayons pas peur des gros mots - comme M.D Lelièvre ne se soit pas attachée à lever cet étrange silence dans lequel les nombreux livres de Sagan sont tombés. Visiblement elle l’admire, mais pour quelle raison en réalité ? Parce qu’elle avait un talent fou et que sans compter, elle s’est employée à le dilapider ? Ça lui fait une belle jambe de bois aujourd’hui à Sagan parce que quoi qu’on en dise, c’était une écrivain née. Et pour cette ambiguïté qu’on ne vienne pas me raconter qu’à courir la carpe et le lapin, à suer sur du papier pour payer des créanciers, elle ne s’est jamais rendue compte qu’elle s’y perdait. En femme subtile et intelligente, je la soupçonne au contraire de s’être brillamment employée à nous le cacher. Elle a donc recouvert son travail avec sa vie. Pas vu, pas pris.
Pas lue…oubliée pour ce qui nous importe en réalité.
Marie-Pia Garnier
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