Le baiser de Nathalie
Entretien avec les frères Foenkinos
"La délicatesse" est le huitième roman de David Foenkinos, un best-seller vendu a près d’un million d’exemplaires. C’est également le titre du film que l’auteur a réalisé avec son frère, Stéphane, qui sort prochainement en salle à Budapest. Nous avons rencontré ces deux frères aux trajectoires opposées, réunis pour adapter ce projet au cinéma.
JFB : C’est la première fois que vous êtes amenés à travailler ensemble ?
David Foenkinos : On a travaillé sur quelques projets ensemble durant une dizaine d’année, nous avions notamment réalisé un court-métrage il y a 5 ans, "Une histoire de pieds" - un film où l’on ne voyait que des pieds ! (Rires) Mais ce n’était pas assez, nous avions envie de faire plus. Nous attendions simplement le bon sujet. J’ai écrit d’autres livres qui vont être adaptés au cinéma, mais à chaque fois je cédais les droits. Alors quand Stéphane a lu mon dernier roman, il m’a dit « c’est un sujet pour nous, celui-ci tu ne le donnes à personne, c’est nous qui allons l’adapter». J’ai tout de suite été d’accord, alors que bien souvent lorsque je termine un roman, j’aime assez rapidement passer à autre chose.
JFB : Il semblerait que Jacques Doillon (réalisateur) vous ait encouragés à passer derrière la caméra ?
D.F. : Pas nécessairement à passer derrière la caméra…
Stéphane Foenkinos : … à travailler ensemble !
D.F. : Stéphane était son directeur de casting, Jacques avait lu mon premier roman, et c’est vrai que c’est lui qui nous a incités à écrire un scénario ensemble, il y a plus de 10 ans maintenant ! C’est marrant…
S.F. : C’est en quelque sorte notre parrain !
D.F. : C’est également quelqu’un qui a donné sa chance à Stéphane.
S.F. : C’est quelqu’un de très important dans ma vie. Dans notre vie ! Il nous a fait confiance. C’est vrai que nous devions travailler ensemble…
D.F. : … ou pas ! (Rires)
S.F. : Mais c’est vrai qu’il a permis que les choses s’accélèrent pour nous, même si notre collaboration paraissait évidente!
JFB : Il y a des changements important entre le scénario et le livre…
D.F. : Forcément, initialement ce n’est pas un livre que j’ai écrit pour le cinéma. Il a donc fallu l’adapter et créer de nouvelles scènes, de nouveaux personnages… Comme par exemple Sophie, la meilleure amie de Nathalie (Audrey Tautou), interprétée par Joséphine de Meaux, qui n’est pas dans le roman. Néanmoins, il reste assez fidèle à l’esprit du livre, il conserve la même tonalité.
JFB : Au-delà de l’aspect comique, le film aborde également un sujet tragique. Etait-il difficile pour vous d’alterner et de retranscrire ces deux sentiments à l’écran ?
D.F. : C’est vrai qu’il y a beaucoup de légèreté, d’humour, malgré un point de départ grave! C’est tout de même l’histoire d’une femme qui perd l’amour de sa vie, qui traverse le deuil. C’est un film sur la reconstruction, et il est vrai que cela a nécessité de faire des "allers-retours" entre un aspect profond et la légèreté, l’amusement. Dès le départ, nous avons eu beaucoup de chance puisqu’Audrey Tautou a rapidement adhéré au projet. Dès lors on a voulu être à la hauteur, et cela a nécessité beaucoup de travail en amont. Après, ce n’est pas le casting qui fait le film, tout ne repose pas sur des acteurs et un scénario ! Il y a toute une atmosphère, à travers la musique, les décors, la lumière, les costumes, … et c’est ce tout qui permet de retranscrire visuellement l’univers du film. Beaucoup de gens d’ailleurs pensaient que le film se déroulait dans les années 70 !
S.F. : C’était très pincé ! Nous avions à la fois l’envie de quelque chose qui n’était pas forcément encré dans la modernité. Les personnages ont des portables, des ordinateurs, mais le fait de choisir certaines couleurs, notamment pour les costumes, que l’entreprise suédoise soit dans un décor tout en bois, en marbre… Tout ceci vient faire écho à ce qui nous a donné envie de faire ce film. On ne voulait pas simplement faire une transposition plate du roman.
JFB : Comment vous est venue l’idée d’associer ce couple improbable, aux univers opposés, interprété par Audrey Tautou et François Damiens ?
S.F. : Il était improbable, et il fallait qu’il le soit ! (Rires) Le plus important était qu’il soit crédible, c’était notre grande angoisse. Les retours que nous avons sont positifs, et notamment à l’étranger. Nous avons la chance de beaucoup voyager avec ce film, et il est vrai que les étrangers ne connaissent pas François Damiens, sous son aspect comique, en revanche il est très populaire en France. Mais François est en réalité très proche de son personnage dans le film.
D.F. : Et Audrey est beaucoup plus rigolote que ce que l’on peut croire…
S.F. : Nous rêvions d’Audrey ! Vraiment ! Elle tourne peu, environ un film par an. Le fait d’avoir François pour partenaire l’a aussi beaucoup motivée.
JFB : Comment avez vous conçu cette héroïne qui a une certaine forme de courage pour recommencer sa vie ?
D.F. : Il faut de la force, du courage, mais c’est aussi quelque chose que l’on ne maitrise pas.
S.F. : C’est le temps !
D.F. : C’est également un film sur l’horloge biologique, le personnage s’enferme durant des années et malgré elle, il y a quelque chose qui avance. C’est le temps de la rémission. J’ai apprécie le fait de jouer avec l’idée que dans un chagrin d’amour, la douleur s’échappe d’une seconde à l’autre, en un déclic ! D’autant plus que ça tombe sur lui, ce suédois complètement improbable, elle se jette sur lui, sans même comprendre.
JFB : A ce propos, il y a cette fameuse scène du baiser, dans laquelle François Damiens n’était apparemment pas briefé…
D.F. : C’est la scène clef du roman, on ne voulait pas la raté ! Et oui en effet, on lui a fait croire qu’il s’agissait d’une répétition. A plusieurs reprises nous avons travaillé le mouvement de caméra, et au moment où nous avons filmé, elle s’est approchée de lui, l’a embrassé "à fond", il a donc été relativement surpris. Du coup cette scène est incroyable, nous ne l’avions pas répété…
S.F. : Elle était "irrépétable"… (Rires)
D.F. : Je me souviens qu’après avoir dit "coupé", tout le monde a applaudit.
JFB : "Le baiser de Nathalie", c’est d’ailleurs la traduction du titre du film en Allemagne…
D.F. : Oui, c’est étonnant, le titre du film a changé un peu partout. La racine du mot délicatesse étant latine… Le titre a été conservé dans les pays latins uniquement.
S.F. : Il a été distribué dans une quarantaine de pays. En Russie c’était "La tendresse", à Singapour, "Un baiser à Paris"…
D.F. : Bon là pour le coup c’est vraiment l’accroche comédie romantique, le cliché avec la tour Eiffel sur l’affiche, Audrey Tautou…(Rires)
JFB : Après cette première expérience, le métier de réalisateur vous plaît-il? Stéphane vous étiez entre autre directeur de casting…
S.F. : Oui mais j’ai arrêté depuis un petit moment…
D.F. : … Mon frère a arrêté sa carrière avec Woody Allen* ! (Rires)
S.F. : … Oui effectivement, j’ai eu la chance de travailler avec des étrangers, puisqu’en France on n’a pas le droit d’exercer plusieurs métiers, vous savez ce que c’est! Heureusement les Américains m’appellent (Rires). Plus sérieusement, je suis davantage scénariste maintenant, j’écris pour les autres, c’est très agréable. Après… la réalisation est venue à nous naturellement. Ce n’était pas planifié. J’avais envie de travailler avec David.
D.F. : Oui et puis on retravaillera certainement ensemble, après il faut juste que l’on trouve le bon sujet !
S.F. : En revanche, on est quasiment sûrs que ce ne sera pas une adaptation.
D.F. : C’est vrai que ce serait une carrière un peu bizarre si j’écrivais exclusivement des livres pour ensuite qu’on les adapte au cinéma! (Rires)
JFB : Pour conclure, pourquoi ce choix de collaborer avec Emilie Simon pour la Bande Originale ?
D.F. : C’est ma musicienne préférée! J’étais certain qu’elle serait idéale. Elle est inventive, elle a de la fantaisie, c’était une évidence. Plus tard nous avons appris malheureusement qu’entre l’histoire et sa propre vie il y avait des échos troublants, elle s’est donc vraiment investit dans son travail.
S.F. : Bien souvent la musique est ajoutée après le montage. Emilie a été partie prenante dans toutes les étapes du film. Il y a une scène par exemple dans une boîte de nuit où Audrey danse sur la vraie musique, composée pour le film. De plus, il y avait une ressemblance troublante entre Audrey et Emilie. On est vraiment heureux d’avoir pu travailler avec elle, on a par la suite réalisé son clip.
*Stéphane Foenkinos a été le directeur de casting pour "Midnight in Paris".
Livre disponible aux éditions Gallimard (2009)
Julien D. et Éva Vámos
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