L’art du double language

L’art du double language

La Hongrie et les pays arabes

Le 24 janvier, le Président égyptien Osni Moubarak a accueilli au Caire le Premier Ministre hongrois Viktor Orbán. Ce dernier a dit que cette rencontre a été l'occasion d'une conversation fructueuse sur les relations bilatérales, notamment économiques, entre les deux pays. Il a également déclaré qu'il était persuadé que les hongrois avaient une bonne image en Egypte, ceci datant de l'époque communiste.

Nombreux sont ceux qui reprochent à Orbán d'avoir entrepris cette démarche avec un chef d'État à la tête d'un régime intenable pour le peuple égyptien, comme en attestent les événements récents.

Viktor Orbán, président du Conseil de l'UE pour un semestre, est arrivé samedi 22 janvier au Caire pour une visite de quatre jours en Égypte. Au programme : la rencontre avec le secrétaire de la Ligue arabe, l'ouverture du forum économique égypto-hongrois, la visite de la plaque à la mémoire de Ferenc Puskás au stage El Ahli et surtout, la rencontre avec le Président égyptien Osni Moubarak. Lors de cette rencontre, les deux hommes ont parlé du projet d'implantation de deux usines hongroises en Egypte. L'une destinée à la fabrication de matériel médical, l'autre à la production d'acier. La rencontre s'est faite dans des conditions très cordiales. Le Premier Ministre hongrois s'est parfaitement moulé dans les convenances de la diplomatie traditionnelle en avançant sans cesse le destin commun et l'amitié qu'il croit voir exister entre les deux pays.

C'est d'un bon œil que l'électorat Fidesz-KDNP a vu cette rencontre. La majorité des hongrois a vu en Orbán un homme puissant, qui traite avec les grands, un représentant de la Hongrie revitalisée après toutes ses humiliations, un homme d'État conquérant et insoumis. Oui, sauf que Orbán a fait campagne sur le retour de la Nation face à l'Europe et à la mondialisation. Il a tenu un discours aux accents presque anticapitalistes. Et que fait-il en Egypte? Tout le contraire. Il s'y rend pour négocier la production sur place de produits hongrois et non pour vendre des produits hongrois.
Désorientés, les hongrois n'y voient rien, bien évidemment. Orbán s'était dressé contre cette diplomatie délocalisatrice cherchant la main d'œuvre à bas-coût. Pour lui, l’ancien premier ministre, Ferenc Gyurcsány et sa bande avaient vendu la Hongrie. Il a gagné en attisant ce sentiment auprès des hongrois. Désormais, il pactise avec ce qui a été un temps son diable : le libre-échange. C'est regrettable, pour lui, mais surtout pour le peuple hongrois qui, une fois de plus, est berné.
Le deuxième sujet de la discussion a été la vision qu'ont les européens du monde arabe. Orbán a plaidé en faveur d'une normalisation des relations avec celui-ci. Il en a profité pour taper une fois de plus sur son ennemi de toujours, Ferenc Gyurcsány. Il a expliqué que celui-ci avait contribué à véhiculer une mauvaise image du monde arabe en se ralliant sans cesse aux thèses sur les dangers de l'expansion de l'islamisme radical, thèses qu'Orbán juge absurde. Il est vrai que le précédent gouvernant avait adopté une diplomatie atlantiste. Mais une fois de plus Orbán a la mémoire courte car qui, sinon lui, a engagé des troupes hongroises dans les guerres menées par les États-Unis au Moyen-Orient? Qui, sinon lui, a fait entrer la Hongrie dans l'OTAN? Tout ceci lors de son précédent mandat entre 1998 et 2002. Si le monde arabe savait.
Dernier aspect à souligner, et non des moindres : la rencontre est intervenue seulement quelques jours avant le soulèvement du peuple égyptien contre le régime Moubarak. Les manifestants ont dénoncé et continue encore à le faire les abus des forces de la police, la corruption, une liberté d'expression insuffisante, mais aussi le chômage massif, les difficultés à se loger et l'augmentation des prix des produits de première nécessité. Sur les premières raisons de la révolte, qui relèvent des dérives autoritaires d'un régime politique, il ne faut rien attendre d'Orbán quant à la dénonciation de Moubarak. On le comprendra aisément étant donné la tournure qu'est en train de prendre le régime hongrois. Sur la situation économique et sociale affligeante des égyptiens, Orbán se révèle être un formidable allié de Moubarak. En cherchant la main d'œuvre peu chère, et bien sûr en espérant qu'elle le reste, Orbán est, comme Moubarak, l'ennemi du peuple égyptien
Yann Caspar

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