L’art des “rétes”

L’art des “rétes”

 

Dans les années 90, quatre millions de Hongrois ont découvert un documentaire sur un vendeur de “rétes” à la vie très mouvementée, sur la chaîne nationale M1, l’une des trois chaînes existant à cette époque. Le lendemain de l’émission tout le monde parlait de la créativité et de la malchance de ce petit mec avec de grosses lunettes, des difficultés mais aussi de la beauté de sa vie. Aujourd'hui Zoltán Sebestyén, alias Mucius, est proprétaire d’une galerie connue où, parmi d’autres artistes, il expose ses propres tableaux.

Les tableaux de László Fehér, l’un des artistes contemporains les plus populaires, regardent la rue Ó depuis les fenêtres de la nouvelle galerie de Mucius, où il a déménagé il y a un an et demi. C’est le troisième site de cette galerie qu’il a ouvert après la projection du film sur sa vie. Ces dix dernières années, tout le monde a oublié le film, mais il est sûr que pour quelques semaines il était devenu un certain symbole de la transition entre les deux régimes.

Enfant, il s’enfuit de l’orphelinat pour travailler sur les concerts d’un groupe nommé Kex avant d’occuper quelque 170 professions différentes en devenant tour à tour ouvrier, poète, acteur ou écrivain. Il a connu tous les plus grands intellectuels de l’époque et a même écrit des dialogues pour le film Mephisto, le seul film hongrois ayant remporté un Oscar. Cependant, les années glorieuses ont vite pris fin lorsqu’il a ouvert une boutique où il a finalement perdu plus d’argent qu’il n’en a gagné. Ainsi, pour rembourser ses emprunts, il a déménagé au bord du lac Balaton où il a commencé a vendre des “rétes” (ce gâteau feuilleté dont les ingrédients ne coûtaient pas grand chose, mais que les touristes allemandes adoraient). “L’industrie de “rétes” que j’ai montée dans ma propre chambre avec ma femme a duré trois ans. Je me sentais emprisonné, mais c’était les années du capitalisme sauvage, et je devais survivre d’une manière ou d’une autre.”

“Pendant les années 70-80 il suffisait d’avoir de bonnes relations pour se débrouiller, ensuite il a fallu donner quelque chose en échange. On ne peut pas vendre son talent pur, il faut créer des objets. Je ne voulais pas écrire, donc j’ai commencé à peindre, et j’ai découvert très vite, parmi les premiers en Hongrie, qu’il me fallait vendre mes tableaux on-line.”, raconte Mucius pour expliquer son succès. Il y a neuf ans, le lendemain de l’ouverture de sa première galerie, un touriste américain l’a découverte par hasard et a immédiatement acheté une douzaine de tableaux à son propriétaire. Depuis, il a exposé à New York et, il y a quelques mois, la plus grande galerie de Londres, Saatchi, a choisi de recommander sa galerie parmi les trois meilleurs lieux de vente d’art contemporain à Budapest.

Très fier de son indépendance, Mucius n’a jamais eu besoin de subvention de l’État pour maintenir sa galerie et aujourd’hui, il expose de jeunes artistes prometteurs aux côtés de László Fehér. C’est sa stratégie: présenter des artistes reconnus et des jeunes côte à côte, mais toujours des oeuvres de grande qualité, majoritairement figuratifs. Sa politique de vente peut se résumer selon ce slogan: „Tout ce qui est de qualité est vendable”.

Judit Zeisler

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