«L'argent de clôture»
Liquidations des bidonvilles tsiganes
31 projets au lieu de 440, moins de 3 milliards de HUF de subvention au lieu des 15 milliards initialement prévus – tel est le bilan des promesses et des efforts du gouvernement pour améliorer les conditions de logement et favoriser l'intégration de la minorité rrome.
«La liquidation des bidonvilles tzigane est un échec», écrivaient récemment les habitants de Galambok, au Sud-ouest de la Hongrie, dans une lettre adressée au Premier Ministre Gordon Bajnai portant sur les difficultés rencontrées par les programmes d’amélioration des conditions de logement de la minorité tsigane. Ils y évoquent notamment le cas d'une famille rrome déplacée de la cabane qu'elle occupait dans une nouvelle maison il y a deux ans. Ces nouveaux propriétaires ont cependant récemment quitté leur logement, laissant d' énormes factures derrière eux et emportant tout ce qui avait de la valeur dans la maison. D'autres problèmes ont été soulevés concernant le programme dans un village voisin à Zalaszentjakab, où les habitants s'interrogent sur la gestion de ces subventions alors qu'il n'existe aucun ghetto de ce type sur son territoire. Le Ministère des Affaires Sociales et du Travail a décidé d’analyser les deux cas.
Le gouvernement de Péter Medgyessy avait promis, en 2002, de mettre fin à 440 des quelques 770 bidonvilles rroms existants en les remplaçant par des maisons d'ici la fin de l'année 2006. A cette date, Ferenc Gyurcsány était alors déjà Premier Ministre, le gouvernement n'était parvenu à n'en raser que neuf (!), pour n'atteindre finalement que 31 aujourd'hui. Le gouvernement, qui prévoyait de dépenser entre 10 et 15 milliards de HUF pour ce projet, y a finalement consacré moins de 3 milliards de HUF. Le terme "liquidation" utilisé au lancement du projet a rapidement été abandonné en faveur de l'expression "expérience modèle". Cette année, le Ministère des Affaires Sociales et du Travail a déclaré que, du fait de la situation économique, le gouvernement avait bloqué 1 milliard de HUF prévu pour poursuivre ce programme.
Le nombre des tziganes vivant dans des bidonvilles a relativement baissé depuis les années 1970, lorsque près de la moitié de cette minorité vivait dans de telles circonstances. En 1993 celles-ci ne concernant déjà plus que 16% de cette minorité puis 5 à 6% dix ans plus tard. Cependant un récent sondage, dirigé par le sociologue István Kemény, montre que les chiffres de la ségrégation n’ont quant à eux pas changé: 60% des Rroms vivant en province habitent toujours aux extrémités des villages, seulement entourés des membres de leur communauté. De plus, selon le sociologue spécialiste du sujet János Ladányi, il convient de ne plus seulement parler des seuls quartiers de certaines villes ou des petits villages, car ce sont des régions entières qui se sont ghettoisées en Hongrie, surtout dans le Nord-Est du pays où le niveau de vie est significativement plus bas qu'ailleurs. Or il est plus difficile de lutter contre la ségrégation sur une grande superficie que dans des quartiers circonscrits.
Ainsi en 2002-2003, les experts ont-ils conseillé de débuter des programmes complexes qui prêtaient attention à la fois à la réhabilitation et à l’intégration. Le but était de «rediriger les habitants d’origine tzigane des bidonvilles dans la société», ce qui signifie un changement lent accompagné d'efforts pour améliorer la formation, l’emploi et la santé de la minorité.
Finalement, faute de moyens, le programme n'a jamais pris en compte cette complexité et la sélection des villes bénéficiant de ces subventions n'a bien sûr pas manqué de susciter des conflits d'intérêt. La réhabilitation est un très bon "business" dans ces régions où le taux de chômage est très élevé et où les entrepreneurs locaux manquent de commandes. «Des hommes d’affaires amis des dirigeants tziganes font la queue pour motiver la réalisation du programme», comme l'a fait remarqué un expert souhaitant rester anonyme interviewé par le Figyelô. Parfois la qualité des conditions de vie a moins compté dans ce choix que les relations et réseaux. C'est pourquoi les ghettos les plus connus et les plus grands, comme ceux d'Alsószolca, de Hajdúhadház ou bien de Putnok n'ont pu participer à ce programme. A Zsámbok, dans le département de Pest, la mairie a déplacé 12 personnes dans deux maison d’un bout du village à un autre. Dans d'autres villages, comme à Tiszabő, la majorité des habitants sont Rroms, ainsi n'a-t-on pu réaliser leur «intégration dans la société». Les bénéficiaires de ces subventions ont même appelé ces dons «argent de clôture», car de nombreuses familles l’ont investi dans des clôtures autour de leur terrain ou encore pour repeindre les façades. Des objectifs esthétiquement avantageux, mais moins efficace contre la ségrégation.
Judit Zeisler