Lapins urbains
Le Cnac (Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne) a confié à Árpád Schilling la mise en piste du spectacle de la 21e promotion. Dépouillant la piste de tous ses artifices, le metteur en scène a travaillé au plus près des 16 jeunes artistes, de leur art, de leur personnalité, de leur présence. Urban Rabbits (Lapins urbains) dessine le portrait mosaïque d’une communauté de drôles d’humains qui ne font rien comme les autres... Un spectacle magique à ne manquer sous aucun prétexte!
JFB: Comment avez-vous été associé au CNAC?
Árpád Schilling: Jean-François Marguerin, directeur de l’établissement, m’a demandé il y a quelques années de mettre en scène le spectacle de fin d’année des la 21e promotion du CNAC. Il souhaitait en effet montrer aux élèves la relation entre cirque et théâtre en travaillant ainsi plus spécifiquement avec des metteurs en scène de théâtre. Selon lui, le nouveau cirque français a besoin d’un renouveau, et il considère que des metteurs en scène, plutôt que des danseurs ou chorégraphes, sont plus en mesure de dynamiser la situation actuelle. Mon opinion était aussi que dans le cirque, à côté de chorégraphies empruntées à l’univers de la danse, on peut aussi laisser une place à la narration traditionnelle. Avant moi, George Lavaudant, ancien directeur du Théâtre de l’Odéon, avait travaillé dans l’école. Je dois donc admettre que cette requête était un grand honneur pour moi.
JFB: Est-ce votre première “mise en piste” d’un spectacle de cirque? Et est-ce une expérience que vous souhaiteriez renouveler?
Á.S.: En 2002, j’ai mis en scène la pièce Hazámhazám, que j’ai écrite avec István Tasnádi et la troupe du Théâtre Krétakör, au Cirque Municipal de Budapest. Mais ce n’était pas un spectacle de cirque, même si les acteurs ont joué dans le style des clowns. Et oui, je travaillerai avec des artistes de cirque dans le futur, j’en suis sûr.
JFB: Quelles sont les différences essentielles, dans le travail de conception et de mise en scène, entre le théâtre et le cirque, mais aussi dans la relation aux artistes / acrobates / musiciens par rapport aux comédiens? Par ailleurs, où les deux approches se rejoignent-elles?
Á.S.: J’ai considéré les élèves comme des caractères faisant partie du futur spectacle. J’ai construit l’œuvre à partir de leurs histoires personnelles. En ce sens il n’y avait aucune différence entre le cirque et le théâtre plutôt traditionnel. La différence était que ces jeunes artistes avaient leurs constants “compagnons de jeu”, les agrès, qu’on a dû insérer dans chaque scène. L’organisation de l’espace et le rythme du spectacle étaient beaucoup influencés par cela et j’ai du mettre mon imagination au service de leurs outils de travail. Les acrobates subissent plus de blessures physiques, mais la charge sentimentale est presque la même. C’est pourquoi j’étais plus patient avec les acrobates, même si je ne suis normalement pas cruel avec les comédiens non plus. Les deux approches se croisent à travers une création commune. J’essaie toujours de considérer les artistes comme des partenaires.
JFB: Urban Rabbits. D’où vient ce nom?
Á.S.: L’un des acrobates m’a raconté une histoire avec un lapin qu’il a rencontré en rentrant en vélo de la ville à la ferme où ils vivaient avec un camarade. Il était plutôt ivre ce soir-là et n’a aperçu le lapin que lorsqu’il entrait dans la lumière de son phare. L’animal, apercevant la lumière, a commencé à courir devant le vélo. Ils ont fait ainsi environ un kilomètre ensemble, puis le lapin a disparu dans les champs. Ce lapin est le premier lapin urbain, lui ai-je dit, car l’animal a appris à utiliser l’homme.
JFB: Pourriez-vous évoquer le rôle et le choix de la musique dans ce spectacle en particulier, mais aussi plus généralement dans votre approche de la mise en scène?
Á.S.: J’aime donner à la musique un rôle dramaturgique. Nous avons utilisé dans le spectacle deux chansons pop connues et j’ai fait traduire leurs paroles pour que les spectateurs puissent les comprendre. Comme les élèves ont appris à jouer des instruments à l’école, il était naturel à mes yeux qu’ils allaient accompagner plusieurs scènes eux-mêmes. Le niveau des morceaux que le compositeur Lawrence Williams a créés n’a posé aucun problème aux élèves. Souvent ces moments musicaux illustrent la scène, permettant ainsi aux spectateurs de mieux rentrer dans l’ambiance. Mais dans de nombreux cas, la musique produit un étrange contre-effet. J’ai toujours aimé utiliser la musique dans mes spectacles pour cet effect, et cela bien souvent avec la participation des acteurs.
JFB: Et qu’en est-il du rôle des histoires, anecdotes, traits d’humour…?
Á.S.: Je répondrai par un cliché: je cherche l’homme... Je considère l’environnement réel de l’homme comme un décor, le costume est son vêtement habituel, et la lumière, c’est la lumière. L’accent est mis sur la réalité et sur l’effort pour découvrir la réalité derrière le visible. Une profonde expérience existentielle m’intéresse, ce qui est inimagi-nable sans mon imagination. Mon but est la création des métaphores les plus pures. Des signes qui sont presque identiques aux choses qu’elles signifient. Aujourd’hui on doit être déjà capable de reconnaître la réalité. L’homme possède les capacités qui pourraient rendre moins difficile son existence dans une société. Or il n’utilise que rarement ses capacités, donc il échoue. Pour résister à cette misère de l’âme, on doit rire. Sur soi-même.
JFB: Il y a, au cirque, une grande proximité avec les artistes. C’est dû notamment au dispositif, mais aussi peut-être parce qu’une part importante du processus de création est plus directement visible au cirque qu’au théâtre, où le spectateur est plutôt censé oublier le travail qui précède la représentation. Considérez-vous les artistes avec lesquels vous avez travaillé pour Urban Rabbits comme des comédiens?
Á.S.: Je considère aujourd’hui tout le monde comme acteur. L’acrobate est exposé à un danger direct, tandis que l’acteur de théâtre n’est menacé d’aucun danger de ce type. L’acrobate a moins de chance d’être paresseux, on peut dire voyant son travail: «Ma parole! Moi, je ne pourrais pas faire cela».
JFB: Depuis l’été 2008, le Cercle Krétakör n’a plus ni troupe, ni répertoire, et vous-même ainsi que quelques nouveaux collaborateurs mettez au point de nouvelles activités basées sur des projets autour du thème de “l’escapologisme”. Où en est la compagnie aujourd’hui?
Á.S.: Krétakör n’est plus une troupe, mais une compagnie créative. Cette compagnie n’a pas besoin d’acteurs, mais plutôt de collaborateurs créatifs, capables de formuler et d’exécuter de nouveaux défis. L’escapologisme est l’art de considérer la vie sérieusement... Celui qui n’est pas escapologiste est pratiquement mort.
JFB: J’ai toujours entendu parlé de Krétakör comme d’un OVNI sur la scène théâtrale hongroise, méconnue, mal comprise ou tout simplement “à part”. Alors qu’elle est reconnue et peut-être mieux considérée à l’étranger, notamment en France. Comment voyez-vous les choses et quelle est votre relation à la scène artistique française?
Á.S.: Ce n’est pas vrai. Nous avons toujours eu du succès en Hongrie après avoir été découverts à l’étranger. Mais c’est presque naturel. En France des artistes français me disent que s’ils arrivaient de Hongrie à Paris, ils auraient sûrement plus de succès qu’en travaillant simplement en France.
Frédérique Lemerrre
Urban Rabitts
Les 19, 20, 22, 23, 24, 26 et 27 juin.
Cirque de Budapest. 1146 Budapest, Állatkerti Krt. 12/a
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