L’amertume de la vie au pays de l’or noir

L’amertume de la vie au pays de l’or noir

Budapest parcours

Budapest parcours

Par Emmanuelle Sacchet

Mais de quel or noir, trésor de Hongrie, s’agit-il ? Un filon dans la Puszta ? L’eau noire introduite par les Turcs à la fin du XVIe siècle ? Un alcool bien hongrois ? Ni pétrole, ni café, nous parlons bien du fameux UNICUM. Cette amère liqueur hongroise pratiquée comme un sport national !

L’un des plaisirs favoris des initiés est de regarder la réaction du buveur profane. La première gorgée d’Unicum pourrait être un best-seller pour qui songerait à l’écrire. Un Bazar Magyar de taille doté des meilleures grimaces et d’un doute qui s’installe unanimement : comment quelque chose d’aussi mauvais peut-il connaître un tel succès ? Internationalement, de surcroît. Chacun le teste, y revient pour être sûr. Histoire de trouver une convenance on tente vainement de lui trouver une ressemblance selon sa nationalité: Jägermeister, Genépi, Suze, Genièvre… Les aficionados de tous bords l’aiment tout-venant: en apéritif, en digestif, en cocktail mortel, en prévention gastrique, en réparation d’une gueule de bois. L’Unicum lave plus blanc que blanc. Au sujet de son goût inénarrable, la meilleure description reste celle d’un violoniste habitué devenant LA définition : C’est l’amertume de la vie. Ah complaintes et sentiments hongrois, nous y voilà ! J’ajouterais ainsi mon grain de sel à l’épice de l’Unicum en concluant que son goût varie selon l’humeur et la personne avec qui l’on en boit. On peut tricher en goûtant la version allégée genre formule américaine appelée NEXT. Et, tout en se laissant aller à une certaine saudade de l’Est, il ne faut plus lutter contre ce goût pas si inamical que ça finalement.

Romancée dans le film Sunshine de Szabó István, l’histoire de la fabrication de l’Unicum s’avère être une épopée. Si l'on en croit la légende, la boisson fut présentée en 1790 par József Zwack pour soigner l’Empereur autrichien Joseph II. Rétabli, il déclara «Das ist ein Unikum !», c'est une spécialité ! En effet, notre Hongrois malin, docteur ès plantes avait distillé et mélangé quelque quarante espèces médicinales. La recette fut conservée, utilisée, oubliée, égarée, retrouvée selon les aléas de l’Histoire de la Hongrie. Aujourd’hui, la liqueur est produite selon cette même formule familiale, jalousement gardée. Pire que le cola, autre produit noir faramineux, ce sont uniquement les membres de la famille qui utilisent la formule magique et secrète dans l’élaboration de l’Unicum à la fabrique de Budapest ! Même pendant le communisme, la distillerie alors réquisitionnée, produisit un Unicum selon une recette différente, trafiquée par les Zwack. Après la chute du communisme, Péter Zwack revint en Hongrie, racheta ses propres locaux et reprit la production de l'authentique breuvage.

Les murs en question datent de 1892 : la même façade en briques jaunes que dans le film de István Szabó. En parcourant Budapest on finit forcément par se retrouver un jour devant. Surtout si l’on suit de près l’évolution du IXe arrondissement. La notion de centre-ville s’étend et les usines et entrepôts alentour sont peu à peu réhabilités en habitations modernes et en lieux branchés. Pour preuve, le Théâtre National et le Palais des Arts en sont les nouveaux voisins sur cette grande avenue Soroksári.

Ainsi, au pied du mur, il ne faut pas hésiter à entrer dans les locaux dont la visite est huilée par un marketing rodé. La photo grandeur nature de Péter Zwack nous accueille avec cette phrase sibylline et signée : «Si je ne peux partager avec vous le secret de l’Unicum, je peux partager l’histoire de son succès». Après un film pompeux de 20 mn dont il faut se passer, la visite du cœur de l’Unicum, de la toute première distillerie est bien plus excitante. La forte odeur épicée des plantes médicinales est accueillante. Ensuite, un musée efficace retrace, pour ceux qui n’auraient pas compris, cette même histoire : des suites de vitrines aux objets collectors et souvenirs persos des Zwack. Un petit bouton permet même d’écouter une musique originale de chaque époque. On nous avait prévenu que les 5 sens seraient sollicités ! Pour le goût, une dégustation est prévue. Le bouquet final est bien sûr la boutique où l’on peut tout trouver, en noir et croix rouge, made in Unicum.

Vive l’amertume de cette vie-là !

 

Ndlr : Après une dégustation bien méritée, un petit saut dans les bains Dandár de la même rue, au n°5, fait le plus grand bien.

 

Musée et distillerie UNICUM

26 Soroksári út, dans le IXème arrondissement, entrée par le 1 rue Dandár

Lundi à vendredi 10h-18h

www.zwackunicum.hu

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