L’alchimie de l’espace

L’alchimie de l’espace

L’alchimie de l’espace

«Aux États-Unis, au Nouveau Mexique, il existe une ville qui s’appelle Roswell. En 1947 quelques habitants ont découvert un OVNI écrasé et trois extraterrestres morts à la frontière de la ville. Le CIA et le FBI ont vite fermé le territoire, mais Internet et les nouveaux softwares, comme le USA photomap, permettent encore aux yeux curieux d'y pénétrer virtuellement, même depuis la Hongrie», raconte le photographe Gábor Kerekes. Cette histoire l’a incité dès 2002 à se mettre dans la peau de ces visiteurs de l’univers et de créer la série Over Roswell qu'il présente actuellement à la Galerie Nessim, dans le cadre de son exposition au titre évocateur : Fly off .

L’artiste, qui a débuté sa carrière en tant que photographe technique dans les années 70, est désormais devenu l’un des photographes contemporains les plus reconnus en Hongrie. Il a par ailleurs exposé en France, où ses oeuvres font partie d’une collection privée à Strasbourg et une galerie à Arles présente ses tirages très régulièrement. Attiré par l’alchimie, la médecine et l’astrologie, il est à la recherche de “l’élément premier” qui constitue le monde, qu'il a souvent cherché à photographier dans des laboratoires de chimie, aux sommets des montagnes ou encore dans des chapelles mortuaires.

Cette approche philosophique est à la base de son oeuvre et des deux séries photographiques exposées à la galerie Nessim. Pourtant, cette fois, il a conçu et réalisé ses images depuis son fauteuil, devant l’écran de son ordinateur. Les softwares USA photomap,qu’il a utilisés pour observer les alentours de la ville de Roswell, et Google Map, grâce auquel il a créé la série Fly Off en 2007, lui ont permis de faire le tour du monde en observant le sol par satellite. Il est typique de la vision de Kerekes de ne pas s'intéresser aux êtres humains, ni même à l’actualité. Il se concentre au contraire sur la beauté abstraite des paysages vus du ciel. En examinant certaines régions de façon systématique, kilomètre par kilomètre, pixel par pixel, il a découvert l’esthétique de ces formes géométriques, dont il a enregistré l’image. Les champs de blé se transformaient en girouettes, les cimetières d’avions en jouets pour enfants ou les ennuyeuses cités-jardins américaines en broderie. Les titres insignifiants des photos cachent la provenance des images et soulignent cette volonté pour la dématerialisation des objets. C’est à nous de deviner, et de ressentir la force des photographies sans pourtant connaître l’histoire qui se cache derrière elles. Grâce à un système de signes particuliers, aux frontières de la science et de l’art, qu’il a développé depuis plus de trente ans, les compositions denses et le «message sentimental» transmettent l'impression d'une aventure spaciale aux spectateurs.

En transformant ces images virtuelles en tirages analogiques, il mêle la perfection rigide des formes géométriques à la nostalgie de la photographie ancienne. Le procédé particulier qu'il emploie mêle passé et présent et aboutit à des tirages qui évoquent l’esprit de Paul Klee, de Magritte ou de Malevich, tout en soulevant une question : quel est le rôle du photographe à l’ère de l'informatique ? «Je voudrais toujours me surpasser, me surprendre moi-même et surprendre la photographie.», souligne Gábor Kerekes pour qui un photographe peut, aujourd'hui, grâce aux nouvelles technologies, créer tout à partir de rien, comme un peintre. Un retour aux origines de l'Art en quelque sorte.

Judit Zeisler

 

Fly Off

Exposition de Gábor Kerekes

Galerie Nessim

(10 Paulay Ede utca. 6e arrt.)

www.nessim.hu

 

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