La télévision publique hongroise en crise

La télévision publique hongroise en crise

Embourbée dans des problèmes financiers, en perte d'audience, soupçonnée de fraude et de manipulations politiques, la télévision publique hongroise traverse une crise depuis les premières tentatives de réforme du secteur médiatique du début des années 90. Ses problèmes sont le reflet direct des difficultés de la politique hongroise à s’adapter au jeu de la démocratie.

Le siège de la Télévision hongroise, MTV, situé en centre-ville face à l’ambassade américaine, sur la Place de la Liberté (Szabadság Tér), est sans doute l’un des bâtiments de télévision les plus impressionnants d’Europe. Sa splendeur et son élégance ne reflètent pourtant en rien l’histoire récente de la télévision publique hongroise, prise dans un cercle vicieux de manipulations politiques, d’insuffisance de moyens et de pauvreté de son offre de programmes depuis le début des années 90.

MTV1 est lancée en 1956 et jouit d’un monopole ininterrompu jusqu’à l’apparition, dans les années 70, de MTV2. Bien que la nouvelle chaîne crée une certaine impression de choix et de diversité, les deux chaînes sont alors sous l’emprise totale du régime communiste. Pendant les années socialistes, la télévision doit jouer un rôle actif, bien déterminé, dans la diffusion du discours politique et dans l'instruction des citoyens. Les programmes sont conçus pour répondre à ce double objectif. D'une part, il n'y a pas de polémique possible concernant le contenu et l'orientation des émissions politiques, qu'il s'agisse de la politique étrangère ou de la politique interne. D'autre part, la télévision a comme vocation la propagation de la culture: le théâtre, la musique et la diffusion d'œuvres littéraires sont considérés comme une priorité. Si le discours politique est une affaire de propagande, c’est toutefois une période favorable à la production hongroise d'ailleurs reconnue et récompensée dans le domaine des documentaires et des dessins animés lors des festivals internationaux.

Mais alors que la libéralisation politique ouvre enfin le débat démocratique aux Hongrois au début des années 90, la télévision publique traverse une crise grave: de 1990 à 1994, c’est la „guerre des médias”. En réalité, c’est une lutte acharnée qui commence entre le premier gouvernement élu par le peuple et Elemér Hankiss, nommé à la présidence de MTV, afin de déterminer le rôle de la télévision publique dans la nouvelle démocratie. Hankiss croit fermement à son indépendance alors que pour le gouvernement il n'est pas question de remettre en cause l'existence d'une télévision porte-parole du gouvernement du moment que celui-ci est légitimé par une élection démocratique. Le gouvernement ne cesse de critiquer la télévision. Il reproche en particulier à Hankiss de n’avoir pas entrepris un "nettoyage politique", ce qui explique, selon István Csurka, membre d’extrême droite du gouvernement, que la télévision soit aux mains des sympathisants soviétiques, de "libéro-judéo-bolcheviques" critiques du gouvernement. Tous les moyens sont bons pour tenter de placer les bonnes personnes aux postes-clés. Hankiss proteste et déclare: "notre pays est hyperpolitisé. Toute notre vie est absurdement politisée et d'une manière destructrice.".

Si les élections de 1994 amènent une volonté ferme de la part du nouveau gouvernement de jouer la transparence et si la catastrophe de l’entrée des chaînes privées RTL Klub et TV2 sur le marché audiovisuel en 1997 change le cours des priorités pour la télévision publique hongroise, on peut sans doute dire que le climat néfaste de la „guerre des médias” règne toujours. Aujourd’hui encore, MTV lutte pour son indépendance politico-financière, pour sa survie. Une dette publique exorbitante contraint la principale chaîne publique à subir sans cesse restrictions budgétaires et licenciements. La polarisation du paysage politique hongrois la conduit à devenir le réceptacle de tous les règlements de comptes. Et de ce système, construit sur la base d’une dépendance totale du budget de la télévision à la majorité parlementaire en place, découle qu'elle est l’enjeu de manipulations politiques incessantes et qu'elle reste incapable de planifier à long terme. Résultat: une programmation désuète, des productions souvent médiocres et une audience en chute libre. Dans un élan de volonté ferme de sauver MTV, des réformes de fonds ont été lancées il y a quelques années et seront symbolisées par le déménagement du siège de la chaîne dans un bâtiment plus moderne. Souhaitons que ces nouveaux locaux puissent influer positivement sur son sort.

Marion Kurucz

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