La sécurité juridique

La sécurité juridique

Le JFB vous présentera dans les mois qui viennent une série d’interviews de personnalités de tous bords sur le sujet de la sécurité juridique. Dans ce numéro, Péter Bárándy, célèbre avocat qui fut ministre de la Justice au sein du gouvernement Medgyessy de 2002 à 2004 nous exprime son inquiétude au vu de la situation actuelle.


JFB: Certains analystes affirment que les dernières décisions du nouveau gouvernement mettent en péril la sécurité juridique. Qu’en pensez-vous ?

Péter Bárándy: Je suis juriste, j’essaie d’examiner la question de ce point de vue. C’est certain, si j’avais été un investisseur étranger, je ne me sentirais guère en sécurité en Hongrie de nos jours. Au cours des mois précédents, le sacro-saint droit de propriété a été malmené avec la nationalisation des caisses de retraite privées. Les garanties juridiques existantes se sont déréglées. Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, la constitution a été modifiée 10 fois, ils ont même touché au statut de la Cour Constitutionnelle. Je trouve angoissant la naissance de lois personnelles. Pour conclure, en tant qu’investisseur étranger, je réagirais avec prudence.

JFB :D’après vous, la situation présente pourrait-elle mettre en péril le fonctionnement du système judiciaire?

P.B.: Le système judiciaire constitue un pouvoir autonome, mais il fonctionne dans les cadres créés par les lois. Si le système juridique n’est pas assez solide dans un pays, les juridictions ne peuvent pas fonctionner efficacement.

Le droit hongrois fait partie du droit européen, si quelqu’un ne peut plus faire appel contre une décision dans le système juridique national, il peut se tourner vers les instances européennes à Stras-bourg...

C’est vrai, mais la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg ne peut qu’examiner si le comportement de l’Etat hongrois est conforme aux exigences découlant de la Convention de Rome. Si le comportement du pays est contraire aux dispositions de la convention, la Cour le sanctionne. Le problème réside dans le facteur temps: un homme d’affaires n’a pas des années pour attendre une décision.

JFB: Quel est votre opinion concernant la nouvelle constitution ?

P.B.:On ne sait rien sur son contenu exact, c’est le plus grand problème. Une constitution doit reposer sur un consensus large au sein de la population. Dans la situation existante, on peut difficilement parler d’un consensus large. En ce qui concerne les travaux préparatoires, peu d’informations sont rendues publiques. Le texte devrait être élaboré sur la base d’un consensus, pour que tout le monde puisse le faire sien. Le parti au pouvoir dispose d'une procédure officielle pour réformer ou modifier la constitution: deux sessions consécutives du Parlement doivent approuver la modification avec une majorité des 2/3. Je me demande pourquoi ils n’utilisent pas cette méthode pour la rédaction de la nouvelle constitution.

On sait bien, qu'au sein d'un Parlement, une majorité des 2/3 issue d’ un seul parti est très rare en démocratie, une curiosité du point de vue du droit constitutionnel...

Pour ma part, je considère cette situation comme un accident. Le parti au pouvoir précédemment a perdu sa bonne réputation et la population s’est détournée de lui. Le résultat est une majorité des 2/3, qui peut ouvrir la voie à une atteinte aux garanties fondamentales.

JFB: Mais les garanties européennes sont toujours existantes...

P.B: Il n’est pas normal que le cadre des garanties fondamentales repose sur des normes de ce niveau. Dans ce cas, on peut dire que les garanties de l’Etat de droit ne se trouvent plus dans le système juridique national, mais dans un cadre extranational. En termes de temps et en pratique, l’appel est moins accessible, et le contenu est moins strict: les garanties européennes sont spéciales comparées aux garanties générales qui sont offertes par un Etat. Le Gouvernement entrera négativement dans les livres d’histoire, s’il n’utilise sa majorité que pour obtenir le plus grand pouvoir possible et suivre une politique revancharde.

D’après les experts étrangers, les juges hongrois n’utilisent pas très efficacement le droit européen directement applicable. Quand les normes hongroises et européennes s’opposent, les juges préfèrent appliquer le droit national.

Le système juridique hongrois est à 99% conforme aux normes européennes. Mais comme dans tous les pays membres, la juridiction nationale préfère appliquer son propre droit. Auparavant, les anciens pays membres ont également eu besoin d’une période transitoire.

JFB: Quel est votre opinion concernant la corruption des juges ?

P.B.: Le système judiciaire hongrois est un système complexe qui existe depuis plusieurs siècles. Les procédures se déroulent avec une grande transparence, l’avocat, le procureur, trois juges en deuxième instance, un juge et souvent deux assesseurs en première instance, participent au procès. C’est un système complexe et bien contrôlé, un juge peut très difficilement devenir corrompu.

JFB: Que pensez-vous de l’évolution future de la législation en 2011?

P.B.: Le pouvoir aura deux choix: soit, revenir à la procédure classique, et les propositions de lois seront soumises par le Gouvernement au Parlement, après des consultations au niveau public et administratif. Soit, continuer la pratique incorrecte employée depuis 10 mois, avec des lois importantes simplement soumises comme propositions de loi par un parlementaire, ce qui ne renforce pas la sécurité juridique.

Xavier Glangeaud

 

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