La Russie en Europe centrale : une nouvelle politique extérieure ?

La Russie en Europe centrale : une nouvelle politique extérieure ?

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Dmitri Medvedev est désormais président de la Fédération de Russie. Veut-il et peut-il changer la stratégie incisive mise en place par Vladimir Poutine et son fidèle ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov ? Quelles sont les implications pour l’Europe centrale en général et la Hongrie en particulier ? Officiellement, le président Medvedev ne devrait pas changer radicalement la politique étrangère de son prédécesseur. Il semble toutefois que quelques aménagements puissent être introduits

Une politique extérieure offensive

La Russie, sous l’influence de Sergueï Lavrov, a mis en place une politique étrangère active censée en finir avec l’ère Eltsine dont les excès personnels et la faiblesse politique à la fin de sa présidence restent encore gravés dans les esprits. L’idée était de faire feu de tout bois, à la fois en termes politiques à proprement parlé et de géopolitique dans une autre mesure, de développer des vecteurs divers et variés destinés à redonner sa puissance à la Russie.

On a vu ainsi la Russie explorer différents chemins, comme le commerce (lobbying pour son entrée à l’OMC), l’énergie (utilisation des prix du gaz comme moyen de pression politique, lobbying sur les tracés des pipelines afin de participer à leur contrôle), l’économie régionale et la politique des frontières (accent mis sur l’Organisation de la Coopération de Shanghai - OCS), ou le domaine militaire (menaces de pointer des missiles sur l’Europe, bombardiers stratégiques survolant des zones écossaises, etc.).

Du point de vue géopolitique, la Russie est également hyperactive. On la sait en Iran à travers la coopération énergétique, dans les régions séparatistes caucasiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, en Asie centrale, où elle reste très liée aux anciennes Républiques soviétiques, mais aussi en Asie donc, avec l’OCS, où elle veut contrer le partenariat euro-atlantique. La principale entrave au regain de puissance internationale de la Russie existe pourtant bel et bien et a un nom : l’Union européenne.

Vers un réchauffement russo-européen ?

Il est clair que Vladimir Poutine a souvent parfaitement réussi à diviser les Européens sur des questions stratégiques. Mais l’influence cumulée, en Europe centrale, orientale et balkanique, de « l’ami américain », de la tentante intégration européenne, et de la relation passée, mais toujours présente dans les mémoires, au « grand frère russe », rend au Kremlin la tâche plus difficile que prévue. Ainsi, ce n’est pas pour rien que le président Poutine déployait les menaces les plus effrayantes depuis la fin de la guerre froide (missiles balistiques, bombardiers stratégiques, recul sur la réduction de l’armement conventionnel) ou pratiquait les tactiques les plus radicales (embargo sur la viande polonaise, arrêt de l’approvisionnement en gaz, soutien indéfectible à Belgrade sur le Kosovo, etc.).

Si la Russie est un partenaire incontournable de l’Europe, l’inverse est également vrai. Et le Kremlin, hier comme aujourd’hui, le sait. Il est tout à fait possible que le choix de Dmitri Medvedev par Vladimir Poutine aille dans ce sens. La Russie fait peur aux Européens ? Il est libéral. Le commerce est le principal domaine de coopération, et donc de confrontation, avec l’Europe ? Dmitri Medvedev a été homme d’affaires. L’énergie inquiète les Européens ? Le nouveau chef d’Etat russe a été à la tête du géant gazier Gazprom. Le droit international sera le principal fer de lance de la période post-Kosovo ? Le nouveau président est juriste.

L’Europe centrale en ligne de mire

Pour l’Europe centrale en particulier, il représente la nouvelle génération. La génération post-soviétique. Dmitri Medvedev n’avait que vingt-cinq ans en 1990, l’année d’obtention de son doctorat en droit. Il a donc commencé sa carrière après la chute de l’Empire soviétique. C’est un gage de sympathie dans les anciens pays satellites de l’URSS. On le dit réaliste et libéral, ce qui le rapprocherait de Donald Tusk, le premier ministre polonais qui dirige le pays centre-européen certainement le plus frileux à l’égard de Moscou.

C’est également un Pétersbourgeois, il vient donc de la plus européenne des villes russes. De son statut d’ancien président du Conseil de direction de Gazprom, il a la légitimité nécessaire pour rassurer les Européens quant à leur approvisionnement en gaz et en pétrole. Enfin, pour briser l’idée de la pyramide de puissance russe, il a été chargé dans le gouvernement Fradkov du développement socio-économique de son pays.

Le cas hongrois

Dmitri Medvedev est-il donc le visage européen de la politique extérieure russe ? C'est fort possible. Mais les arcanes du pouvoir au Kremlin sont bien complexes et il est évident que le couple Poutine-Medvedev travaillera en étroite collaboration, et que la quête aiguë de la grandeur retrouvée continuera. Les Européens attendent pour l’heure de voir ce duo en action. Même divisés, ils ont, eux aussi, plus d’un atout. Et la Hongrie en est l’exemple criant.

Bien qu’elle soit culturellement « désoviétisée » depuis belle lurette, la Hongrie est un Etat dont la relation – forcément particulière car historique et tumultueuse – avec la Russie est relativement modérée. Les entreprises étatiques russes, notamment énergétiques, sont effectivement présentes en Hongrie. Après avoir pris le contrôle de la société serbe NIS, Gazprom continuerait ainsi sa progression au cœur du continent européen en maîtrisant à la fois la production, le produit, et le transporteur des énergies à haute valeur stratégique, gaz et pétrole. Et le cas de l’Ukraine et de la Biélorussie nous montre comment la maîtrise de l’énergie peut rapidement conduire à une ingérence dans le jeu politique intérieur.

Mais la Hongrie n’est pas désarmée, loin de là. Elle figure parmi les Etats européens en transition les plus euro-atlantistes. Elle est membre de plein droit de l’Union européenne depuis 2004, de l’OTAN depuis 1999, de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economiques (OCDE) depuis 1996, et du Conseil de l’Europe (CoE) depuis 1990. Elle est très active à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) dont elle est membre depuis 1973. Et elle est un des points de passage des ressources énergétiques russes vers l’Europe occidentale.

La ministre des affaires étrangères hongroise, Kinga Göncz, a par ailleurs recommandé au gouvernement de reconnaître l’indépendance du Kosovo où les troupes hongroises sont présentes. La présence hongroise en Afghanistan, dans le cadre de l’OTAN, va s’accentuant et elle existe également en Irak. Budapest projette en outre l’établissement d’un bataillon européen avec les Slovènes et les Italiens dans le cadre de la Politique Européenne de Sécurité Commune. C’est beaucoup, et ce sont autant de cartes à jouer dans les négociations entre le géant voisin et un pays danubien, donc européen.

Péter Kovács

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