La question rome
Depuis le début de l’été, attisés par une importante couverture médiatique, les débats politiques en France ne cessent de tourner autour de la question rome et de ses enjeux au niveau national et européen. Puissent ces débats déboucher sur la mise en œuvre d’une réelle et vaste politique d’intégration de cette minorité, qui reste marginalisée, victime de préjugés tenaces, de discriminations et de violences, malgré les politiques successives menées en faveur de leur intégration, notamment en Hongrie.
Alors que des jeunes venus de toute l’Europe dansaient et applaudissaient les artistes se produisant sur la scène tsigane du festival Sziget, l’Europe s’enflammait autour de la question rome. Le 12 août dernier, le comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU (Cerd), critiquait vivement la France pour un «manque de volonté politique face à une recrudescence des actes racistes dans ce pays». Le Cerd avait notamment évoqué la question du renvoi des Roms avant d’enfoncer le clou, le 27 août en se disant préoccupé par «la tenue de discours politiques de nature discriminatoire en France». Le Cerd a en outre dénoncé les derniers renvois de Roms en Bulgarie et en Roumanie, sans «leur consentement libre et éclairé». La question rome a pris la tournure d’un vif débat au sein de la classe politique française visant à décrier ou à justifier la politique sécuritaire de l’Elysée. François Fillon, intervenant devant la conférence annuelle des ambassadeurs de France le 27 août dernier, s’est ainsi empressé de rappeler que ces expulsions avaient lieu «dans le respect du droit européen» et relevaient d'une politique «résolue et juste». Pourtant, le jour même, le tribunal administratif de Lille annulait quatre arrêtés de reconduite à la frontière pris par la préfecture du Nord à l'égard de Roms qui avaient été évacués d'un terrain situé à Villeneuve-d'Ascq, en contestant «le fait que l'occupation d'un terrain privé constituait un trouble à l'ordre public», selon les propos du greffe du tribunal administratif rapportés par le quotidien Le Monde. Par ailleurs, la commissaire à la justice de la Commission, Viviane Reding, qui «déplore – dans un communiqué – que la rhétorique employée dans certains Etats membres les semaines passées ait été ouvertement discriminatoire et en partie provocante», a décidé d'examiner la situation en France afin de constater si, oui ou non, les expulsions de Roms sont conformes au droit européen. Si «un climat malsain» est en train de s’installer en France, comme le relevait l'archevêque de Paris, celui-ci ne s’arrête toutefois pas aux frontières de l’hexagone.
De l’autre côté de la frontière, en Allemagne, point de “retour volontaire” pour les 12.000 Roms et Ashkali que Berlin compte expulser vers le Kosovo ces prochaines années. Dans un dossier intitulé “Les Roms, nation paria d'Europe”, le site Presseurop citait l’hebdomadaire berlinois Der Freitag qui estime que l’accord sur la politique de retour, que «le Kosovo a accepté sous pression» en avril dernier, est «catastrophique pour les familles», le plus souvent arrivées en Allemagne au début des années 1990, et «une honte pour l'Allemagne», qui considère comme «sûr» ce pays ébranlé par des tensions ethniques et incapable de protéger ceux qui y reviennent. La plupart des quelques 6.000 enfants et adolescents concernés ont grandi en Allemagne, ne parlent ni le serbe ni l'albanais, et ne pourront probablement pas poursuivre leurs études au Kosovo. La liste est encore longue et provient des quatre coins de l’Union européenne. Ainsi, en juillet dernier, «le maire social-démocrate de Copenhague demandait l’aide du gouvernement pour expulser, de gré ou de force, les 200 à 400 Roms qui y vivent», explique Presseurop, citant le journal danois Politiken. En novembre 2009, le maire d'Ostrovány, en Slovaquie, ordonnait quant à lui la construction d'un mur de démarcation entre les quartiers “slovaque” et “rom” de sa ville.
La situation des Roms en Hongrie
«On estime aujourd'hui qu'entre 450.000 et un million de Roms habitent en Hongrie, soit entre 5 et 9% de la population totale du pays. C'est une part conséquente de la présence rom sur le continent européen, estimée, elle, entre 4 et 9 millions de personnes, concentrées en particulier en Europe centrale et orientale», rappelle Sébastien Gobert dans un article consacrés aux Roms de Hongrie publié dans la revue Regards sur l’Est. Une minorité souvent marginalisée, stigmatisée, victime de préjugés tenaces, de violences et de discriminations notoires, et ce malgré les politiques successives menées en faveur de leur intégration depuis le changement de régime.
«L'an dernier, le gouvernement a décidé de tripler le budget prévu pour reloger ceux qui vivent dans des bidonvilles et favoriser leur intégration dans la fonction publique. Mais avec la crise économique, Budapest a révisé ses plans et réduit les embauches prévues», rappelle Le Figaro dans un article, paru le 26 août, passant en revue les politiques conduites par plusieurs pays européens à l'égard des Roms. Pourtant, le financement de la politique d’intégration n’est pas tout. «L’Etat hongrois a dépensé plus de 150 milliards de HUF au cours des deux dernières décennies pour l’intégration des Roms, résume une étude publiée en 2008 par la Cour des Comptes, qui a ainsi démontré que l’efficacité des mesures de lutte contre la discrimination à l'égard des Roms ne dépendait pas des sommes engagées. (…) La Cour des Comptes explique l'inefficacité de ces mesures par le fait qu’aucun gouvernement au pouvoir depuis les années 1990 n’a reconnu que la problématique rome était une question complexe. De plus, une grande partie des subventions n’était pas seulement distribuée aux Roms, mais aussi à d'autres groupes sociaux en difficulté. Il est difficile de mesurer quelle part de ces aides a finalement atteint sa cible originale car, en Hongrie, le traitement des données ne permet pas de collecter des informations relatives à l’origine ethnique».
(Judit Zeisler, JFB, mars 2009).
L’un des maillons essentiel de cette question complexe est à n’en pas douter l’éducation. Le Figaro souligne en effet qu’«en 2009, 40% des jeunes Roms hongrois n'avaient pas achevé l'enseignement primaire», sans toutefois rappeler qu’en Hongrie, de nombreux enfants roms sont en outre regroupés dans des «classes spéciales pour enfants attardés et difficiles». «Ce dispositif, qui date des années 1960, a pour effet de regrouper les enfants roms dans des classes ou même des établissements scolaires distincts et de leur prodiguer un enseignement de moindre qualité, en raison d'une présupposée déficience mentale. Une différence jugée honteuse et peu fondée, qui n'a pas disparu aujourd'hui. Dans ce contexte, le 3 février dernier, l'ONG Chance for Disadvantaged Children Foundation (CFCF) a annoncé son intention de poursuivre en justice le ministère hongrois de l'Education pour ne pas avoir mis fin à ce système», rappelle Sébastien Gobert. Une situation similaire existe en République Tchèque où «30% des enfants roms fréquentent des écoles pour handicapés mentaux. Le taux est d’environ 2% pour les autres enfants tchèques, ce qui correspond à la moyenne mondiale. La grande majorité des autres enfants roms fréquentent des “écoles tsiganes”, où les résultats ne sont pas bien meilleurs», écrivait Michal Komárek pour l’hebdomadaire tchèque Respekt en 2009. Or cette situation a un coût, poursuit-il: «La plupart des enfants roms n’ont aucune chance de trouver un emploi décent. Et l’Etat perd de l’argent, car les Roms sans emplois ne créent pas de valeur économique, ne paient pas d’impôts et perçoivent des aides sociales», sans compter «les “coûts annexes” générés par la médiocre qualité de vie des Roms socialement exclus, l’augmentation des tensions sociales, les conflits ethniques, la criminalité, etc.». Une criminalité réelle ou supposée puisque, comme le révèlent les sondages régulièrement menés en Hongrie, environ 60% des Hongrois considèrent les Roms comme «génétiquement criminels». Ainsi, s'il est urgent de repenser les différentes politiques d'assimilation de cette minorité, et en particulier la scolarisation des enfants roms, il est aussi à espérer, même si cela prendra du temps, que l’école républicaine devienne un lieu d’intégration où les enfants apprennent à vivre ensemble.
Frédérique Lemerre