La liberté de la presse en danger ?

La liberté de la presse en danger ?

Alors même que la Hongrie assume depuis le 1er janvier la présidence de l’Union Européenne (UE), sa loi sur les média, qui entre en vigueur à cette même date, soulève depuis quelques semaines déjà une vague de contestations au sein de la communauté européenne et au-delà.

La nouvelle loi sur les média, sans précédent dans l’UE, sanctionne lourdement tous les écarts de la part des média nationaux, privés comme publics, qui menaceraient «l’intérêt public, l’ordre public et la morale» ou qui fourniraient des «informations partiales». Des amendes pouvant aller jusqu’à 200 millions de HUF sont prévues à cette fin pour les chaînes de radio ou de télévision privés. Les journaux, sites internet et personnes privées sont également affectés par cette réforme. Les journalistes s’écartant de l’esprit de cette loi pourront être suspendus de leurs fonctions pendant 30 jours.

Le «hic», c’est que les concepts auxquels se réfèrent cette loi ne sont pas clairement définis. Le Nouveau Conseil des Média, composé de cinq membres tous issus du parti au pouvoir, les mettra en application. On peut douter bien entendu du degré d’objectivité de cette instance qui bénéficiera cependant de larges pouvoirs: prendre des décrets sur les média, accéder aux documents des organes de presse et contraindre les journalistes à révéler leurs sources sur les sujets de sécurité nationale et protection de l’ordre public. A la tête de ce Conseil des Médias, Annamária Szalai, qui se décrit face aux rébellions médiatiques comme «le chef des chefs». Lorsqu'elle était membre de l’opposition et représentait le Fidesz auprès de l'organe de supervision des radios et de la télévision, son combat principal avait été de censurer le dessin animé «les Pokémons», pouvant porter un préjudice moral aux mineurs. On peut dès lors s’interroger sur sa capacité à interpréter aujourd’hui une telle loi...

Des journalistes hongrois ayant observé une minute de silence à l’antenne en signe de contestation se sont vus expulsés de l’émission, voire suspendus. Les deux quotidiens de gauche Népszabadság et Népszava ont affiché leur opposition à cette loi en première page ce lundi 3 janvier, en revendiquant la liberté de la presse. Mais les critiques proviennent également de l'étranger. L’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, mais aussi l’OSCE, les groupes “libéral et démocrate” et vert du Parlement européen, les organisations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, ou les syndicats internationaux de journalistes ont condamné cette loi. Ils rappellent unanimement que la Hongrie, à travers cette loi, viole l’article 11 de la charte européenne des droits fondamentaux qui fait explicitement obligation aux pays de l’UE d’assurer la liberté de la presse. Des critiques virulentes faisant référence aux méthodes autoritaires du gouvernement d’Orbán s’expriment de la part des acteurs européens: «Le temps de la Pravda est révolu», a notamment déclaré le Belge Guy Verhofstadt, chef de file des Libéraux au Parlement européen; Cette loi est un “danger direct” pour la démocratie.

L'État contrôlera l'opinion", a dénoncé le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn. Le groupe des Verts au Parlement Européen a, quant à lui, parlé d'une "mise sous tutelle intolérable". "Cette nouvelle loi, clairement répressive, est en contradiction totale avec le Traité européen, la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l'Homme", a affirmé le Français Daniel Cohn-Bendit, co-président des Verts au Parlement.

D’autres pays membres de l’UE, comme la France, «patrie des droits de l’homme», sont plus frileux dans leurs déclarations, craignant qu’une contestation unanime de l’UE ne mène à une montée du populisme en Hongrie et au renforcement du sentiment anti-européen chez les Hongrois, ce qui serait préjudiciable en une telle période. La commission européenne a indiqué lundi 3 janvier attendre des autorités hongroises des "clarifications" à propos de la loi sur les médias et la taxation exceptionnelle d’entreprises et compte aborder ce sujet avec les autorités hongroises lors d’une réunion à Budapest le 7 janvier qui s’annonce mouvementée. L’affaire devrait également animer la session plénière du Parlement Européen prochainement à Strasbourg.

La Hongrie étrenne donc sa première présidence de l’Union Européenne dans un contexte démocratique critique, alors même qu’elle se doit d’assumer pour les 6 prochains mois une responsabilité particulière pour l'image de l'ensemble de l'Union dans le monde. Le respect de la démocratie n’est-elle pas pourtant une condition essentielle d’adhésion de tout nouveau membre à l’UE ?

Gwenaëlle Thomas

 

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