La langue française se féminise

La langue française se féminise

Lundi 13 mai 2019, Bernard Cerquiglini faisait l’honneur de sa présence à l’Institut français de Budapest pour décrypter la féminisation de la langue française et présenter son dernier livre, Le ministre est enceinte.* Un sujet enclin à de nombreuses querelles depuis plusieurs décennies.

Le 28 février dernier, l’Académie française publiait un rapport approuvant la féminisation de la plupart des noms de métiers. Pourtant le purisme de l’académie a mis du temps à se dépoussiérer face à une langue en constante évolution. Le masculin est un genre neutre, non marqué dont l’utilisation est justifiée lorsque le féminin n’existe pas ; tel est la position trop longuement défendue par l’académie à laquelle s’oppose le linguiste Bernard Cerquiglini. Les adversaires de la féminisation défendent également la polysémie des mots qui fait le charme et l’ambiguïté de la langue française. De plus si l’Académie a été si longtemps réticente à ce genre de changements, c’est qu’elle jugeait que la richesse du français lui donnait tous les moyens morphologiques pour le féminiser. Ainsi depuis des années, la France et plus précisément les académiciens s’arguent de la neutralité d’un masculin s’opposant de ce fait à la féminisation des noms de métiers souvent au dépit d’une parité d’accès à tous les emplois (notamment les hautes fonctions de l’état) entre les hommes et les femmes. Le Québec ou encore la Suisse sont en avance, par exemple avec la simplicité du suffixe québécois –eure pour féminiser les noms se terminant en « eur » (professeure, procureure…). Un retard que monsieur Cerquiglini justifie par le « renfermement des femmes » en France, commencé au XVIIIe siècle.

Un français masculinisé comme norme

Une « écrivaine », une « poétesse », ou encore une « autrice », autant de termes acceptés et attestés depuis des siècles. En effet, à partir du Moyen-Age, tous les métiers étaient féminisés, le masculin pour désigner les femmes est tardif. En 1635, Richelieu, prenant en exemple le modèle italien fonde l’Académie française dans le but de perfectionner et normaliser la langue. Il souhaite la codifier ; on passe de la coutume au droit écrit. C’est à partir du XVIIIe siècle qu’on assiste à ce que Bernard Cerquiglini désigne comme le « grand renfermement des femmes ». Les fonctions importantes et les libertés politiques sont progressivement attribuées aux hommes. « Lorsque les préfectures sont créées, Napoléon n’aurait jamais désigné une femme préfet, encore moins préfète », remarque le linguiste. La femme a de moins en moins d’importance dans la société, son statut est désormais ramené à celui de son mari. On passe d’un féminin à un féminin conjugal. La Révolution française puis le XIXe siècle vont accentuer cette norme de masculinisation. Dans le premier dictionnaire de l’académie achevé en 1694, une « ambassadrice » est désignée comme une femme chargée d’une ambassade. Dès la deuxième édition, elle devient épouse de l’ambassadeur.

Qu’est-ce que la norme ?

Cette norme de masculinisation du français acceptée par les immortels est souvent critiquée par les défenseurs de la féminisation s’insurgeant de voir que la définition d’une ambassadrice est toujours la même dans la version actuelle (9ème) du dictionnaire de l’Académie. Un certain paradoxe regrettable d’après monsieur Cerquiglini lorsque l’institution du Quai de Conty tend à accepter l’évolution de la langue française. Il y a un manque de coopération entre les linguistes – dont le métier est d’étudier la langue – et cette institution dont l’histoire voudrait qu’elle établisse le bon usage de celle-ci. Aujourd’hui, la francophonie, aussi riche soit-elle, constitue l’antithèse du purisme académicien. Le progressiste Cerquiglini suggère un dictionnaire francophone reprenant toute l’histoire et les subtilités du français. « Le dictionnaire de l’Académie française est le premier dictionnaire synchronique de notre langue, sans étymologie », analyse-t-il. Souvent jugée pour être en retard par rapport aux changements de la langue courante, l’Académie s’inscrit tout de même dans un souhait de faire changer les usages, reconnaissant une évolution évidente de celle-ci. Aujourd’hui de nombreux féminins sont déjà adoptés dans la société. L’évolution naturelle de la langue française doit s’inscrire dans cette logique, celle où la seule norme viserait à reconnaître les femmes en tant que femmes dans cette langue mondiale, riche, et noble qu’est le français.

Vincent Faure

*A l’occasion de sa venue, un questionnaire sur la langue française était proposé au public lui permettant de se tester. Un de nos confrères du Journal Francophone de Budapest s’est illustré en remportant l’un des livres de Bernard Cerquiglini.

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