La Hongrie, une expérience gratifiante

La Hongrie, une expérience gratifiante

 Rencontre avec René Roudaut

L’heure du départ a sonné pour René Roudaut, Ambassadeur de France en Hongrie depuis septembre 2007, après un long mandat dans ce pays d’Europe centrale. Il rejoint, provisoirement sans doute, l’Administration centrale du Ministère des Affaires étrangères à Paris où il va piloter un groupe de travail sur l’évaluation des diplomates. Roland Galharague le remplace à partir du 12 mars. René Roudaut fait pour le JFB le bilan de ses 4 ans et demi passés à Budapest.

 

 

 

JFB : Quel est votre bilan en tant qu’ambassadeur sur les changements vécus en Hongrie ces deux dernières années : alternance politique, présidence de l’Union européenne, adoption de mesures très controversées par le gouvernement Orbán?

René Roudaut : Le gouvernement Fidesz a pensé il y a près de deux ans maintenant, après des élections législatives qui lui ont donné une large majorité des deux tiers au Parlement, qu’il avait une fenêtre d’opportunité pour adopter un maximum de réformes législatives. Mais le processus législatif s’est déroulé à un rythme tel que pratiquement aucune concertation préalable n’a eu lieu avec l’opposition ni la société civile. Certains ont eu le sentiment que le gouvernement voulait verrouiller le jeu politique et rendre l’alternance plus difficile. Il n’est évidemment pas question de parler de « dictature », comme certains médias l’ont fait, mais il est clair que le gouvernement hongrois a franchi la ligne rouge sur plusieurs sujets. Il devra donc s’en expliquer auprès de la Commission européenne : déficit budgétaire excessif ; différentes mesures controversées (sur la liberté de la presse, l’indépendance judiciaire, ...) et sur la gouvernance. La Hongrie devra certainement « revoir sa copie » sur ces différents points si elle veut obtenir un accord avec la Banque centrale et le FMI.

JFB : Et si le gouvernement Orbán persiste et refuse de se conformer aux normes européennes ?

R.R.: Il n’y aura alors pas d’accord avec l’UE ni avec le FMI, et la Hongrie risque de se trouver en défaut de paiement, avec ce que cela implique. C’est le scénario du pire que nous souhaitons tous éviter.

JFB : Force est de constater un désengagement croissant de la population pour l’Europe malgré une adhésion massive en 2004 (84%) ? Quelles en sont les raisons majeures ? Peut-on parler d’échec de la mission que s’était donnée la Présidence hongroise de l’UE d’éduquer ses citoyens sur les sujet européens ?

R.R. : Oui, le gouvernement aurait dû assumer son rôle pédagogique. Cette absence d’adhésion de l’opinion publique à l’Europe tient au fait qu’aujourd’hui les gouvernants ont trop tendance à laisser entendre que tous les maux de la Hongrie viennent de l’Union européenne. Ils entretiennent un double discours : un discours tourné vers l’extérieur, pro-européen et un discours à «usage interne», beaucoup plus critique vis-à-vis des instances européennes. On se souvient à ce titre du parallèle établi par le premier ministre le 15 mars 2011, en pleine présidence hongroise de l’UE, entre Bruxelles, Vienne et Moscou. Le désenchantement de la population hongroise vis-à-vis de l’Europe est récent, il date de 2-3 ans. C’est malheureusement, et après la Grande-Bretagne, le pays membre de l’UE où l’adhésion de la population à l’Europe est la plus faible. Les sondages d’opinion montrent en effet qu’un tiers seulement des personnes interrogées se déclarent satisfaites d’appartenir à l’Union européenne.

JFB: Quels sont les défis auxquels la Hongrie doit se confronter aujourd’hui pour avancer ?

R.R.: Un défi économique et budgétaire d’une part, avec une maîtrise du déficit budgétaire et une relance de la croissance économique du pays. Un défi politique d’autre part, avec le règlement des questions relatives à la gouvernance. J’ajouterai enfin la préoccupante situation démographique du pays qui a perdu un million d’habitants depuis le début de la transition il y a vingt et un ans.

JFB : Comment jugez-vous la situation aujourd’hui des entreprises étrangères en Hongrie, et françaises particulièrement ?

R.R.: Les entreprises étrangères, de manière générale, se sentent menacées et déstabilisées par une rhétorique qui leur fait porter la responsabilité des difficultés que rencontre le pays. Les entreprises françaises sont de ce point de vue très visibles car très présentes dans le secteur des services publics, confrontées actuellement à la volonté des autorités hongroises de reprendre en main le management et l’intégralité du capital de ces sociétés de service public. C’est le cas pour la compagnie des eaux de Budapest, Fővárosi Vízművek, dirigée par la société française Suez Environnement en consortium avec la société allemande RWE Hungaria, qui détiennent à elles deux 25% du capital de l’entreprise. La municipalité de Budapest semble souhaiter une sortie des actionnaires étrangers. Ceci ne peut se faire qu’après une juste indemnisation. A défaut la société n’aura comme recours que d’aller en arbitrage.

JFB : L'année 2012 sera marquée par les élections présidentielles puis l'élection des députés des Français à l'étranger, comment ces élections s’organisent-elles du côté de l’ambassade ?

R.R.: Il y aura à Budapest deux bureaux, un à l’ambassade, l’autre à l’Institut Français de Budapest. Tous les français inscrits sur la liste électorale au 31 décembre 2011 pourront voter dans un de ces deux bureaux.  Il existe également des modalités de vote par correspondance et même de vote électronique pour les élections législatives. Toutes les informations figurent sur le site internet de l’ambassade.

JFB : Que pensez-vous de la diffusion et du rayonnement de la francophonie en Hongrie?

R.R.: La francophonie en Hongrie n’a pas la place historique de l’allemand mais bénéficie cependant d’un socle solide, entretenu par l’existence d’une douzaine de filières bilingues dans les lycées hongrois. Ces filières d’excellence alimentent ensuite la dizaine de formations en français dans l’enseignement supérieur. Enfin, l’Institut Français de Budapest et les cinq alliances jouent également un rôle essentiel dans la diffusion et l’enseignement de notre langue.

JFB : Vous avez été conseiller aux affaires religieuses de 2001 à 2004. Que pensez-vous de la déchristianisation de la Hongrie ? Que pensez-vous aussi de la tentative d’Orbán d’établir un lien entre religion et pouvoir  ?

R.R.: Les éléments introduits dans la nouvelle Constitution par le Fidesz, à la demande du KDNP (mention des racines chrétiennes, caractère sacré de la vie dès la conception, définition « traditionnelle » du mariage) sont des considérants qui n’emportent pas de conséquences juridiques. La perception  du fait religieux est centrale dans la mentalité hongroise, du fait en particulier de l’acte fondateur du royaume de Hongrie, la remise en l’an mille de la couronne par le Pape Sylvestre II, le français Gerbert d’Aurillac. La pratique religieuse en Hongrie aujourd’hui se rapproche toutefois de celle des autres pays occidentaux, et le pays connait un phénomène de déchristianisation. L’Eglise catholique, mais aussi les réformés, essaient de retrouver leurs marques après 40 années de communisme et d’athéisme.

Personnellement, j’ai eu la chance de faire des rencontres très éclairantes avec des religieux ou des congrégations qui m’ont aidé à mieux comprendre ce pays : les franciscaines, les cisterciennes, les carmélites de Pécs.

JFB : Pouvez-vous nous faire part de vos impressions générales et personnelles sur votre séjour en Hongrie?

R.R.: Cela a été un séjour très gratifiant professionnellement et personnellement. J’ai également essayé d’investir dans la dimension culturelle et linguistique, prisme essentiel de lecture de la réalité hongroise, de la structuration mentale des Hongrois. Mais la question de la langue met également en lumière un autre aspect de la réalité hongroise : ce sentiment qu’ont les Hongrois d’être uniques et irréductibles, une sorte de sentiment d’insularité. De toute évidence, il  faut garder à l’esprit dans nos relations avec la Hongrie et les Hongrois cette donnée fondamentale, renforcée par l’histoire douloureuse que l’on sait.  J’ai aimé ce pays et  ses habitants, et je pars de Hongrie en laissant de vrais amis.

JFB : Et pour finir, une expression hongroise que vous appréciez ?

R.R. : « El kell indulni minden útra, az embert minden úton várják», toute route est bonne à prendre, car l’homme est attendu sur chacune des routes ! (Sándor Csoóri).

Gwenaëlle Thomas

 

 

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