La garde hongroise au garde-à-vous

La garde hongroise au garde-à-vous

Le parti d’extrême droite Jobbik (qui signifie à la fois « le juste » et « le plus à droite ») vient d’inaugurer sa « Garde Hongroise », alias Magyar Gárda, lors d’une cérémonie d’intronisation symboliquement organisée entre la Résidence présidentielle et le Château. Cette garde n’a aucun lien avec l’Etat hongrois, mais n’en revendique pas moins sa vocation de force de défense nationale. L’orientation politique du parti fait gonfler la polémique.


L’élan vigoureux et exalté du Magyar Hymnus retentit. L’émotion est intense. La voix des plus âgés, vibrante, se démarque. La cérémonie commence pour de bon. Environ un millier de personnes sont venues assister à ce qui ressemble de loin à un concours de drapeau, de plus près à une manifestation anti-française, et d’encore plus près à une remise de grade officielle.

La députée Fidesz Mária Wittner, survivante de 1956, a ouvert le bal. On a vu fleurir en cette fin d’été sur les murs de Budapest les slogans « Minden ‘56 » (« c’est toujours 1956 »), en allusion à la révolution anti-soviétique. Très vite, la foule entame de véhéments « Gyurcsány takarodj !!! », réclamant ainsi la démission du Premier ministre. On s’aperçoit vite de la parenté de cette célébration avec les manifestations anti-gouvernementales de l’année passée qui s’était terminées en émeutes. Le site Internet de Jobbik revendique d’ailleurs ce point : « Le drapeau de rayures Árpád était un signe commun pendant les manifestations et émeutes ».

D’autres huées se sont faites entendre : le nom de Tom Lantos, survivant à l’Holocauste et représentant des Etats-Unis, qui avait dénoncé des « fanatiques fous » et promis l’interdiction d’entrée aux USA des membres de la Gárda, a été amplement sifflé et raillé.


La célébration n’a en fait pour autre but que d’introniser les 56 – ce nombre revient comme un leitmotiv – premiers membres de la Garde Hongroise, prolongement du parti Jobbik, censée remédier au manque d’« autodéfense physique, mentale ou spirituelle » selon la formule utilisée par Gábor Vona, président de Jobbik, dans une interview publiée par le Népszabadság. Selon M. Vona, la création de cette garde, dont il est prévu qu’elle atteigne rapidement 1000 participants, a été organisée « afin de porter le vrai changement de régime [communisme] et de secourir les Hongrois ». Bien que ni la nature précise des risques ni celle d’un possible ennemi extérieur n’aient été apportées, la Garde s’annonce prête pour une « situation de guerre ».

C’est en effet ce que l’on comprend à la vue de ces gardes paramilitaires qui s’élancent fièrement à l’appel de leur nom et sous les applaudissements du public. Un à un, ils sortent du rang et montrent ainsi à leur famille et amis présents un uniforme noir avec un lion blanc rugissant dans le dos et, sur le cœur et la casquette, un blason simple : les lignes blanches et rouges d’Árpád, fondateur de la monarchie hongroise.

Et pour que la cérémonie ne soit pas incomplète, à la présence du « gyula » –« chef militaire » dans la société originelle hongroise – s’est rajoutée celle de « kendés » – « chefs religieux ». Trois ecclésiastiques, issus des églises catholique, réformée et évangélique, s’étaient en effet joints à la fête. Les références religieuses entendues étaient d’ailleurs exclusivement chrétiennes. Aucun autre groupe confessionnel n’était présent.



La polémique des symboles


La Garde de Jobbik a été représentée par trois groupes de tenues différentes. Le premier était composé des 56 gardes. Leur veste sans manche se rapproche de la tenue traditionnelle des paysans hongrois. Mais le pantalon rentré dans les rangers, la casquette, la couleur noire et le blason d’Árpád sont nettement moins anecdotiques. C’était effectivement ces couleurs de la maison royale hongroise qui caractérisaient les « Nyilaskereszt », c'est-à-dire les Croix Fléchées, à la tête du régime collaborationniste installé par les nazis. Depuis, le symbole de la croix fléchée est interdite en Hongrie comme la svastika ou l’étoile rouge. Les Croix Fléchées avaient envoyé 400 000 juifs dans les camps en quelques mois.

La tenue du second groupe était plus « militaire » : casquette et pantalon de treillis vert kaki, chemise beige. Chaque rang est identifié par une fourragère de couleur différente. Mais tous portent le même brassard : sur lignes rouges et blanches, un cercle rouge avec à l’intérieur deux croix vertes liées aux extrémités sur fond blanc.

Le troisième groupe enfin, se résumant à quelques personnes et faisant face aux deux autres groupes, était composé d’hommes vêtus de longues tenues blanches des pieds à la tête, avec deux ouvertures par lesquelles on peut sortir les bras. Sur le torse, un large blason : une vierge à l’enfant sur fond rouge et blanc. Au cou, une croix pattée blanche.


Garde Hongroise contre Garde Nationale : le défi politique de la droite


Après les représentants du Jobbik et la députée Mária Wittner, c’était au tour de Lajos Für du parti conservateur modéré MDF. La présence de cet ancien ministre de la défense stigmatise la volonté de faire de la Garde Hongroise une garde nationale. Mais cette milice privée n’a pas cette prérogative et n’est absolument pas intégrée à l’armée. Lorsque la question de l’entraînement militaire se pose, interdit par la législation actuelle, Gábor Vona, à la tête donc du parti et de sa garde, affirme qu’il « a l’espoir que la Garde trouve un moyen d’enseigner à ses membres comment utiliser des armes à feu ». L’aspect paramilitaire de ce groupe est donc affirmé autant que la nécessité d’instaurer un magistère moral dans un pays qui serait en pleine déliquescence.

La création de la Magyar Gárda fait partie d’un plan du parti Jobbik pour la création d’une Garde Nationale officielle, dont la Magyar Gárda représente le premier pas. Si l’on ne sait pas si la Garde Hongroise serait alors le noyau dur de cette Garde Nationale, on sait cependant que l’idée de cette dernière est déjà en question au Parlement. Le ministre MSzP de la défense, Imre Szekeres, n’est pas opposé à l’idée, proposée par le Fidez et le parti chrétien-démocrate national KDNP, d’une force civile volontaire pour remédier aux catastrophes naturelles et soutenir l’armée en cas de conflit. Une police civile de quartier existe déjà. Contrôlée par un gouvernement et un Parlement démocratiquement élu, de création endogène à l’Etat, avec un rôle limité à certaines missions humanitaires ou de soutien, l’idée de cette Garde Nationale reste cependant bien loin de la Magyar Gárda. C’est probablement la raison pour laquelle le premier ministre Ferenc Gyurcsány a affirmé : « La formation de la Magyar Gárda est la honte de la Hongrie » et de se déclarer inquiet de l’« antisémitisme croissant ».

Le Président László Sólyom, dont les divergences avec le chef du gouvernement sont de notoriété publique, a pour sa part exprimé une vision ménageant à la fois le Jobbik et ses opposants. Le parti Jobbik, présent politiquement dans certaines municipalités, n’a aucun siège au Parlement.


La Magyar Gárda est donc au centre d’un jeu politique intense. L’opposition conservatrice joue sur les mêmes symboles délicats et l’antigouvernementalisme du Jobbik comme preuve de l’illégitimité du Premier ministre. Quant à la majorité en place, elle critique l’opposition qu’elle estime trop timide à condamner le parti d’extrême droite. En attendant, et même maladroitement, la garde marche au pas, au son des tambours et sous les applaudissements.


Péter Kovacs

 

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