La dernière roue de la roulotte justement…
Le Billet d'Humeur tzigane
Marie-Pia Garnier
Le 16 septembre, dans une indifférence médiatique quasi générale, s’est tenu à Bruxelles le premier sommet européen sur la question Rom. Le monde avait alors bien d’autres faillites & krachs boursiers à fouetter que la condition de quelques dix millions de pauvres irréductibles Tziganes.
Oh, ce n’est pas tant qu’on s’en soucie beaucoup d’habitude, mais quand même ! Depuis l’élargissement à 27, c’est un peu comme un caillou dans notre chaussure. D’ailleurs, l’Italie berlusconienne, en les fichant et en les « ADNisant » comme des criminels, vient de leur botter salement le derrière.
Certes, elle ne date pas d’hier cette longue histoire «d’anamour» que nous entretenons depuis presque 1000 ans avec nos gens du voyage, nos Roms, nos Manouches, nos Sintis, nos Gypsies, nos Gitans, nos Bohémiens, nos Cigány, nos Zingaros….
Aujourd’hui, à peu près tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont venus d’Inde. C’était des castes professionnelles dites impures comme les bouchers, les saltimbanques, les tanneurs, … auxquelles la société brahmanique refusait le droit de se sédentariser. Vers l’an 1000 certains partirent pour l’Asie en quête de vie meilleure et de protecteurs. C’est dans le sillage des hordes mongoles et tatares que commença leur longue migration vers l’Europe, la Turquie, l’Asie Mineure et le Moyen-Orient. Une fois chez nous, ils continuèrent à exercer librement leur profession. On les retrouve aux portes des châteaux et des grandes cités comme musiciens acrobates, dresseurs, vanniers…. Pourtant, dès la Renaissance un peu partout en Europe, les brimades commencent, notamment dans les campagnes où les paysans voient d’un mauvais œil ces roulottes de voleurs de poules. Certains s’embarquent avec nous pour les colonies et deviennent les premiers Roms Ricains en Louisiane et en Virginie. C’est actuellement la plus grande communauté de gens du voyage au monde.
Le XXe ne les ménage pas non plus. En 1912 les voilà obligés de voyager munis d’un carnet anthropométrique qu’ils doivent faire tamponner à chaque déplacement et les nazis se chargent de les décimer (à four de bras). Cette Shoah rom, dont nous parlons toujours à mots couverts comme d’un génocide secondaire, porte le nom de Porrajmos. Quelques décennies plus tard, la chute de l’empire soviétique voit leurs conditions de vie se dégrader dramatiquement dans beaucoup des anciens pays du bloc.
Ainsi, voilà longtemps que nous dansons avec eux quand tout va bien et que nous les faisons danser quand la situation politique et économique se dégrade.
Dans certaines régions d’Europe et aux portes de certaines grandes capitales, la situation de ces populations est aujourd’hui d’une telle précarité qu’il s’agit de non-assistance à notre plus grande minorité en danger. Dans d’autres régions comme l’Andalousie, des programmes visant à les intégrer professionnellement portent leur fruit.
Beaucoup d’argent a pourtant été injecté en Europe centrale par l’UE pour tenter d’y remédier et de les fixer chez eux (275 millions d’€ environ). Sans grand succès, il faut bien l’avouer. En effet, le problème posé est si complètement différent d’une communauté à l’autre, d’un pays à l’autre, que toute politique centralisée est une chimère. Ces dix millions d’Européens-là ne forment pas une communauté uniforme au sein d’une Europe qui est elle-même bien loin de l’être. C’est une mosaïque d’ethnies qui présentent des caractéristiques culturelles, linguistiques et religieuses si diverses qu’il faudrait d’abord que nous les connaissions sur le bout de l’Europe si nous voulons vraiment trouver avec eux des solutions adaptées.
Il en va donc de la bonne volonté de chaque pays, de chaque localité, de chaque mairie et… de vous et moi, pour en finir une bonne fois avec certaines discriminations arbitraires et autres sales rumeurs. C’est un bouc émissaire qu’on nous sert trop souvent pour flatter nos bas instincts sécuritaires. Pour le reste, tout ou presque est encore à faire. Avec ce sommet, Bruxelles a tenté de montrer sa bonne volonté dans un climat qui fut assez agité. Il est vrai que les cavalières mesures de police italiennes n’y furent pas officiellement condamnées au juste regret des associations représentées. Mais le dossier a le mérite d’être à l’ordre du jour. À la communauté rom maintenant de saisir cette opportunité pour nous dire comment elle souhaite vivre demain dans nos sociétés et si elle est prête à jouer le jeu de cette Europe à inventer.